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DESCARTES.

son système, il lui arrivait parfois d’oublier la bonne occasion que les autres lui avaient offerte de repenser leur pensée. En ce qui concernait ses inventions propres, tantôt il était fort jaloux de leur nouveauté et de leur originalité, tantôt il se laissait prendre son bien sans trop de souci, et se montrait généreux des miettes de son génie ; un de ses amis lui reproche à ce sujet sa magnanimité. Au reste, c’était entre les savants d’alors un tel conflit de prétentions pour toute découverte, que l’historien finit par s’y perdre.

En somme, Descartes a établi sur ses vraies bases la physique moderne, qui est l’étude des transformations diverses du mouvement. Mais, supérieur en cela à bien des savants et philosophes de notre temps, il n’a jamais admis la transformation possible du mouvement, comme tel, en pensée. Tandis que, par exemple, nous voyons Spencer osciller pitoyablement sur ce point, passer de la négation à l’affirmation, présenter parfois la pensée comme une transformation de la chaleur et des vibrations cérébrales, Descartes, lui, n’hésite jamais : le mouvement est d’un côté, la pensée est de l’autre, et de tous les mouvements réunis ne peut, comme dira Pascal en commentant Descartes, « réussir » la moindre pensée. Descartes n’eût donc pas admis, comme Spencer, que l’évolution du monde soit de nature uniquement mécanique et que ses facteurs primitifs ne renferment aucun élément mental. Pour Descartes, l’évolution est indivisiblement mécanique et intellectuelle.