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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/101

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la critique de la morale

mée que démontrée, du moins en tant que loi universelle. « Elle se présente, à coup sûr, dit-il, mais comme exception[1] . » Selon Nietzsche comme selon Rolph, l’aspect général de la vie n’est point l’indigence, la famine ; c’est, tout au contraire, la richesse, l’opulence, l’absurde prodigalité même[2] . Rolph avait exprimé la tendance fondamentale de l’être par « l’insatiabilité » ; Nietzsche l’exprime aussi, nous l’avons vu, par une volonté de puissance « insatiable ».

Comme l’avait fait Guyau, Nietzsche critique les principes de l’école anglaise, et il trouve contre elle plus d’un bon argument, sans d’ailleurs en trouver de neuf, ni qui ait échappé à Guyau. Il reproche aux Anglais de considérer surtout les réactions de l’homme sur son milieu et de négliger les actions spontanées de l’homme sur son milieu. C’est la grande objection que tous, en somme, nous autres philosophes français, nous avons dirigée contre les disciples de Darwin et de Spencer. Nietzsche reproche à la physiologie et à la biologie darwiniennes d’avoir escamoté le concept fondamental d’activité. La théorie du milieu, dit-il, est une théorie de neurasthénique[3] . L’école anglaise est, selon lui, sous la pression d’une sorte d’ « idiosyncrasie » : l’aversion pour tout ce qui commande et veut commander ; elle met en avant, au lieu de l’activité et de la puissance, ce mécanisme qu’elle appelle la « faculté d’adaptation… » Or, ajoute Nietzsche, — et ici il touche bien, comme l’avait fait avant lui l’auteur de la Morale anglaise contemporaine, au défaut essentiel du darwinisme et du spencérisme, — la faculté d’adaptation n’est qu’une activité de second ordre, une simple « réactivité ». Bien plus, Spencer a défini la vie elle-même « une adaptation intérieure, toujours plus efficace, à des circonstances extérieures »[4]. Nous avons répondu

  1. Crépuscule des idoles, § 14.
  2. Ibid.
  3. Ibid. § 44.
  4. La Généalogie de la morale, tr. fr., p. 126.