sortes sont des « ouvriers cyclopéens » qui servent à bâtir le nouvel édifice. L’« homme de rapine », l’ « homme de proie », dit-il dans la Gaie science (une science dont la gaieté est lugubre) [tout se permettre « l’acte terrible et toute la somptuosité de la destruction, de l’analyse, de la négation ; il semble autorisé au mal, à l’irrationalité, au blâme, en raison d’un excès de ces forces génératrices et fécondes qui savent transformer tout désert en un paradis luxuriant. » Cette conception romantique du vice et du crime est en contradiction avec toute la criminologie scientifique de notre époque. Le type criminel est très rarement le type de la vie débordante ; il est le plus souvent celui de la vie appauvrie et dégénérée. Ce qui frappe tous les observateurs des jeunes criminels, en particulier, c’est le manque de volonté et d’énergie qui les caractérise, c’est leur « veulerie », leur anémie intellectuelle et morale, — cette anémie que Nietzsche attribue si étrangement aux « bons » et aux « vertueux » La dégénérescence, avec toutes ses tares, est la grande source de la criminalité, qui n’a absolument rien de la vie tropicale célébrée par Nietzsche. Celui-ci en est encore aux brigands d’opéra ou de drame, aux bandits héroïques de Schiller, de Byron, de Victor Hugo ou de Dumas, qui ont pu se rencontrer en pays barbares et en temps barbares, mais qui, en Allemagne comme en France, n’existent plus que sur la scène.
Nietzsche parle à plusieurs reprises des « crimes aux issues heureuses » comme de moyens que la vie emploie pour briser les formes trop étroites où on aurait voulu l’emprisonner. « Un constant travail de transformation s’opère sur la morale ; les crimes aux issues heureuses en sont les causes (j’y compte par exemple toutes les innovations dans les jugements moraux[1] . » Dire : Tuez, au lieu de dire : Ne tuez pas, Volez, soyez adultère, violez femmes et enfants, au lieu de dire ; Respectez le bien d’autrui, la femme d’autrui, la pureté de l’en-
- ↑ Aurore, p. 310.