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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/176

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nietzsche et l’immoralisme

philosophes va se produire, rappelons leurs points de coïncidence. Les deux penseurs ont pris d’abord pour accordé par tout le monde qu’il faut ou régler la conduite humaine ou la laisser sans règle (ce qui est encore une manière de lui donner une règle, celle de n’en pas avoir). Ils se sont accordés ensuite à chercher le fondement de la règle ou de l’absence de règle (question réservée) dans la nature la plus profonde de la vie, qu’ils considèrent comme étant le fond même de l’existence. Ils se sont accordés à concevoir la vie comme une activité qui trouve dans sa plus haute intensité sa plus haute jouissance. Ils se sont accordés enfin à concevoir la plus haute intensité comme en proportion nécessaire avec la plus large extension.

Reste à déterminer la nature de cette extension. C’est ici le carrefour où s’ouvrent deux routes divergentes et où les deux philosophes vont se tourner le dos. Le point où débute la divergence est indiqué par Nietzsche lui-même. Guyau écrit d’abord à la page 18 ces lignes, dont une partie est soulignée par Nietzsche : « La vie est une sorte de gravitation sur soi ; » c’est là précisément le principe qu’admettent en commun les deux philosophes. « Mais, continue Guyau, l’être a toujours besoin d’accumuler un surplus de force même pour avoir le nécessaire ; l’épargne est la loi même de la nature. Que deviendra ce surplus de force accumulé par tout être sain, cette surabondance que la nature réussit à produire ? » Nietzsche met en marge : « Là gît la faute. » Que veut-il donc dire ? Lui aussi, pourtant, admet que l’être accumule la force de manière à en avoir un surplus, une surabondance. Mais il n’admet pas que cette accumulation résulte d’une espèce de vitesse acquise en vue de se procurer le nécessaire et qui aboutit à plus qu’il n’est absolument besoin. Il voit dans la surabondance le résultat d’un instinct de déploiement de puissance, Macht auslassen, comme il répète sans cesse. Il s’imagine que l’être accumule le pouvoir pour le pouvoir même, — comme si le pouvoir avait un prix indépen-