Aller au contenu

Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/178

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
nietzsche et l’immoralisme

se manifeste au dehors comme insatiable vouloir de puissance. » Ce qu’il y a de curieux ici, c’est l’illusion d’optique par laquelle la contradiction entre Guyau et Nietzsche parait à ce dernier une contradiction entre Guyau et Guyau lui-même. En fait, Guyau n’a nullement démontré ni voulu démontrer que « tous les instincts fondamentaux de la vie sont immoraux, y compris ceux qu’on appelle moraux ». Cette thèse est celle même de Nietzsche. Sans doute Guyau l’a prévue et exprimée, mais pour la rejeter finalement, non pour l’admettre. La preuve en est que Guyau, dans un chapitre célèbre, en développant sous forme conditionnelle l’hypothèse de l’indifférence de la nature, a dit : « L’égoïsme serait alors la loi essentielle et universelle de la nature. En d’autres termes, il y aurait coïncidence de ce que nous appelons la volonté immorale chez l’homme avec la volonté normale de tous les êtres. Ce serait peut-être là le scepticisme moral le plus profond. » Les traits qui soulignent ces mots sont de Nietzsche, et ce dernier, se reconnaissant ici lui-même, écrit en marge : moi. L’immoralité foncière de la vie est donc bien l’hypothèse de Nietzsche, non celle de Guyau. Quand Guyau entreprend, comme le dit Nietzsche, de trouver les fondements des instincts moraux dans la vie même, c’est Nietzsche seul qu’il contredit — et qu’il réfute par avance.

Aussi pensons-nous que les mots : « Ici gît la faute » peuvent précisément s’appliquer à Nietzsche ; car, nous l’avons montré, c’est une faute de confondre toute expansion d’activité avec une agression, de croire que ce qui est en plus des besoins stricts de la vie individuelle, ce qui est comme un luxe, ne peut être employé que contre les autres, comme si la lutte ne provenait pas des nécessités et besoins, non du superflu et du surabondant ! Les sens supérieurs, tels que la vue, ont été d’abord produits par et pour des besoins, mais, une fois développés, s’ils peuvent encore servir à attaquer ou à se défendre, ils peuvent également servir à mar-