Aller au contenu

Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/190

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
166
nietzsche et l’immoralisme

plus rien à quoi put se prendre notre jugement et notre sentiment. » Nietzsche répond : « Bravo ! » De même, il marque son approbation pour la page 120, où Guyau soutient que « l’évidence intérieure du devoir ne prouve rien », l’évidence étant « un état subjectif dont on peut rendre compte par des raisons subjectives aussi », La vérité, ajoute Guyau, est une synthèse ; « c’est ce qui la distingue de la sensation, du fait brut ; elle est un faisceau de faits. Elle ne tire pas son évidence et sa preuve d’un simple état de conscience, mais de l’ensemble des phénomènes qui se tiennent et se soutiennent l’un l’autre. Une pierre ne fait pas une voûte, ni deux pierres, ni trois ; il les faut toutes ; il faut qu’elles s’appuient l’une sur l’autre ; même la voûte construite, arrachez-en quelques pierres, et tout s’écroulera : la vérité est ainsi ; elle consiste dans une solidarité de toutes choses. Ce n’est pas assez qu’une chose soit évidente, il faut qu’elle puisse être expliquée pour acquérir un caractère vraiment scientifique. » Nietzsche a noté bien toute cette page. Lui qui nous a maintes fois répété la maxime des Assassins : « Rien n’est vrai », il a trouvé dans Guyau une conception du vrai qu’il approuve.

II. — On sait que, par opposition tout ensemble à la foi morale de Kant et au scepticisme moral, Guyau soutenait que le devoir est un pouvoir qui demande à s’épandre, un surcroît de vie à la fois intellectuelle et sensible qui demande à déborder, que celui qui peut, au sens positif et fécond, a le sentiment qu’il doit. Et c’est là, croyons-nous, sinon toute la vérité, du moins une grande et profonde vérité. Mais Guyau, on l’a vu, ne faisait pas de ce pouvoir demandant à agir une sorte de radical égoïsme, une poursuite de la puissance sur autrui et aux dépens d’autrui ; il était réservé à Nietzsche de soutenir cette thèse, d’autant plus séduisante à ses yeux qu’elle était plus étrange et qu’elle aboutissait à placer le bien là où tout le monde avait