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nietzsche et l’immoralisme

ne lui apparaissait que comme des signes, des occasions de paraboles. L’idée du fils de l’homme n’est pas une personnalité concrète qui fait partie de l’histoire, quelque chose d’individuel, d’unique, mais un fait éternel, un symbole psychologique, délivré de la notion du temps. Ceci est vrai encore une fois, et dans un sens plus haut, du Dieu de ce symboliste type, du règne de Dieu, du royaume des cieux, du fils de Dieu. Rien n’est moins chrétien que les crudités ecclésiastiques d’un Dieu personnel, d’un règne de Dieu qui doit venir, d’un royaume de Dieu au delà, d’un fils de Dieu seconde personne de la trinité… Avec Strauss et Renan, Nietzsche déclare qu’il faut dégager le sens profond des dogmes, l’esprit qui vivifie. Pour lui, par exemple, le mot fils exprime la pénétration dans le sentiment de la « transfiguration » générale de toutes choses (la béatitude) ; le mot père, ce sentiment même, le sentiment d’éternité et d’accomplissement. J’ai honte de rappeler ce que l’Église a fait de ce symbolisme : n’a-t-elle pas mis une histoire d’Amphitryon au seuil de la foi chrétienne ? Et un dogme de l’Immaculée Conception, par-dessus le marché ! Mais ainsi elle a maculé la conception.

« Le royaume des cieux est un état du cœur ; — ce n’est pas un état au-dessus de la terre ou bien après la mort. Toute l’idée de la mort naturelle manque dans l’Évangile : la mort n’est point un pont, point un passage ; elle est absente, puisqu’elle fait partie d’un tout autre monde, apparent, utile seulement en tant que signe. L’heure de la mort n’est pas une idée chrétienne : l’heure, le temps, la vie physique et ses crises n’existent pas pour le maître de l’heureux message. Le règne de Dieu n’est pas une chose que l’on attend, et n’a point d’hier et point d’après-demain, il ne vient pas en mille ans, il est une expérience du cœur, il est partout, il n’est nulle part.

« Ce joyeux messager mourut comme il avait vécu, comme il avait enseigné, — non point pour sauver les hommes, mais pour montrer comment on doit vivre.