C’est à force de vagues mourantes que la mer réussit à façonner sa grève, à dessiner le lit immense où elle se meut[1]. » — « L’avenir, conclut Guyau avec une sagesse étrangère à Nietzsche, n’est pas entièrement déterminé par le passé connu de nous. L’avenir et le passé sont dans un rapport de réciprocité, et on ne peut connaître l’un absolument sans l’autre, ni conséquemment deviner l’un par l’autre. » C’est là, croyons-nous, pour tout philosophe qui a le sentiment des bornes de notre connaissance, le dernier mot de la question. Le cercle éternel de Nietzsche, au contraire, n’est qu’un jeu mathématique, qui ne peut manquer de laisser échapper le fond même des réalités. Et Nietzsche, encore une fois, aurait dû le comprendre lui-même, puisqu’il admettait (comme d’ailleurs Guyau) que les mathématiques sont une simple enveloppe dont les mailles enserrent l’être sans le pénétrer.
Nietzsche, en définitive, se trouve encore réduit sur ce
point à deux antinomies essentielles. La première éclate
entre sa conception de « la vie qui va toujours en
avant » et sa conception du piétinement universel. La
seconde éclate entre son scepticisme à l’égard des lois
mathématiques et sa foi aveugle au cercle de Popilius
tracé par les mathématiques. Ne finit-il pas par
diviniser ce cercle vicieux lui-même, en s’écriant :
Circulas vitiosus, Deus !
- ↑ L’Irréligion de l’avenir, p. 458.