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nietzsche et l’immoralisme


Zarathoustra sent bien qu’il y a en lui un prêtre, qu’il est lui-même le prêtre d’une religion nouvelle.

    Voici des prêtres ; et, bien que ce soient nos ennemis, passez devant eux silencieusement et l’épée dans le fourreau !
    Parmi eus aussi il y a des héros ; beaucoup d’entre eus soutinrent trop ; — c’est pourquoi ils veulent faire souffrir les autres…
    Mais mon sang est parent du leur ; et je veux que mon sang soit honoré même dans le leur.


Zarathoustra plaint les prêtres, qui sont prisonniers ; celui qu’ils appellent Sauveur les a mis aux fers, aux fers des valeurs fausses et des paroles illusoires. « Ah ! que quelqu’un les sauve de leur Sauveur ! »

Sur le chemin qu’ils suivaient, ils ont inscrit des signes de sang, et leur Jésus enseignait qu’avec le sang et par le sang on témoigne de la vérité.

    Mais le sang est le plus mauvais témoin de la vérité…
    Et lorsque quelqu’un traverse le feu pour sa doctrine, qu’est-ce que cela prouve ? C’est bien autre chose, en vérité, quand du propre incendie surgit la propre doctrine !


Zarathoustra s’est incendié lui-même, par le doute, par la négation, par le grand mépris, par le grand amour ; il a mis le feu aux tables de valeurs qu’il avait trouvées en lui-même, legs du passé, tradition séculaire, et des flammes qui ont tout consumé est sortie sa propre doctrine d’avenir.

Zarathoustra prêche, à la fois, non seulement la religion de l’éternité, mais la morale de l’immanence, sans sanction ; ce négateur de la vertu se fait de la vertu la plus haute idée, la même idée que Guyau. Il lance son ironie contre ceux qui attendent une récompense :

    Vous voulez encore être payés, ô vertueux ! Vous voulez être récompensés de votre vertu, avoir le ciel en place de la terre, et de l’éternité en place de votre aujourd’hui ?
    Et maintenant vous m’en voulez de ce que j’enseigne qu’il n’y a ni rétributeur, ni comptable. Et, en vérité, je n’enseigne même pas que la vertu soit sa propre récompense.