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conclusion

dépit de ce Voltaire même qu’il a érigé en précurseur, « tout le monde a tort » et c’est Nietzsche seul qui a raison.

Mais à quoi bon pousser plus loin le relevé de tant de vaniteuses paroles dont la candeur finit par désarmer ? On sait que, se comparant au Christ méconnu, Nietzsche s’offre lui-même à tous les regards dans Ecce homo et qu’il signe sa dernière lettre à Brandès : le Crucifié ?

Nietzsche, cependant, ne nous a pas paru avoir l’originalité souveraine qu’il s’attribue. Mêlez la sophistique grecque et le scepticisme grec avec le naturalisme de Hobbes et avec le monisme de Schopenhauer, corrigé par Darwin, assaisonné des paradoxes de Rousseau et de Diderot, vous aurez la philosophie de Zarathoustra. Avancée en apparence, séduisante d’aspect pour une jeunesse ingénue à la recherche de l’inédit, cette philosophie n’en est pas moins essentiellement antique et « réactionnaire », dans tous les sens possibles, ennemie de tout, ce qu’on appelle les progrès modernes, « Moderne, c’est-à-dire faux » répète Nietzsche sur tous les tons, et il consacre à anathématiser la « modernität » un des chapitres de son dernier ouvrage. Il a beau se croire à l’abri de tous les préjugés qui viennent du « troupeau » et du milieu ; nul, plus que ce chantre de la force et de la guerre, n’a ramassé en un seul monceau tous les préjugés grégaires de l’Allemagne restée féodale en plein XIXe siècle, toutes les idées dominantes venues de la race, du milieu et du moment, amalgamées avec les idées analogues de l’antiquité, du moyen âge et de la Renaissance.

Mais ce dernier des romantiques fait tout accepter par la magie de son lyrisme. Bien qu’il croie son âme isolée en soi et impénétrable pour tous, le miracle de la poésie la rend pour tous transparente :

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   Comme c’est agréable qu’il y ait des mots et des sons ! Les mots et les sons ne sont-ils pas les arcs-en-ciel et des ponts illusoires entre ce qui est éternellement séparé ?