Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/291

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
267
conclusion

dans un monisme stérile, dans une triste et monotone uniformité. »

En somme, les socialistes libertaires, après avoir tiré Nietzsche de leur côté, finissent par voir aujourd’hui « dans le socialisme un moyen de libération et d’épanouissement pour les égoïsmes personnels ». La racine du socialisme est, selon eux, « l’individualisme même, la protestation de l’individu contre les tyrannies économiques existantes, le désir de donner une plus libre carrière à l’égoïsme économique de chaque homme. Le socialisme est une doctrine du déploiement de la vie. » Nous croyons que ce n’est point là la plus haute idée qu’on puisse se faire du socialisme. Un socialisme égoïste est même, à nos yeux, une contradiction dans les termes, une impossibilité de fait. Qu’on puisse rêver un socialisme qui serait un « déploiement de la vie », nous raccordons, mais pourra que ce déploiement soit conçu à la manière de Guy au, non à celle de Nietzsche, c’est-à-dire comme déploiement vers autrui, pour autrui, en autrui, non vers soi, pour soi, en soi.

Le système de Nietzsche et de ses partisans n’est valable que contre les groupes qui s’interposent entre ces deux extrêmes : l’humanité et l’individu. De tels groupes n’ont assurément qu’une valeur provisoire, parce que leur but n’est pas en eux-mêmes : tels sont les États, les patries, les classes, les associations de toutes sortes. Tous ces groupes ne doivent jamais empêcher ce qu’on pourrait appeler l’accomplissement de l’humanité dans l’individu. Mais le véritable individualisme et le véritable socialisme sont nécessairement humains et humanitaires, par cela même moraux. Ils ne vivent que de sentiments moraux et de désintéressement, non d’égoïsme, et c’est précisément ce qui fait la radicale fausseté des systèmes nietzschéens.

Au reste, tout comme l’individualisme de Stirner, celui de Nietzsche n’est qu’une apparence ou, du moins, un simple moyen en vue d’une fin tout opposée, Nietzsche est non seulement un humanitaire, mais un surhuma-