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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/306

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nietzsche et l’immoralisme

cipe ; Nietzsche, nous l’avons vu, s’est contenté du nom sans approfondir la chose.

Il répliquerait sans doute : — Oui, l’idée de puissance n’est pas complète sans l’idée positive de « valeur », mais c’est. la puissance qui crée les valeurs, qui pose les fins et, après les avoir posées, les impose. — Nietzsche a-t-il bien le droit de nous présenter cette conception comme étant elle-même une nouveauté ? A-t-il, pour son compte, créé par là une « valeur » ? La vérité est que rien n’est plus usé aujourd’hui. Comme nous l’avons rappelé plus haut, la puissance ne se comprend pas par soi, la valeur ne se pose pas non plus par soi, sans une raison qui soit un rapport à quelque chose. De rapport en rapport, il faut bien rapporter les valeurs aux fonctions essentielles : 1° de l’esprit humain, 2° de la société humaine. « Créer des valeurs nouvelles », ce n’est rien créer absolument, c’est simplement deviner ou découvrir des relations et vérités qui préexistaient cachées au fond de nous-mêmes ou de la société tout entière. Était-ce la peine de refuser à Dieu la création ex nihilo pour la concéder au Surhomme, s’appelât-il Nietzsche ?

En termes précis, la valeur est une fin, et une fin ne se crée pas par un acte arbitraire de puissance. Si nous voulons la joie, et si le Surhomme lui-même veut la joie, ce n’est ni par hasard, ni par une volonté arbitraire ; ce n’est pas non plus, assurément, par un mécanisme extérieur ni par une nécessité de contrainte ; mais c’est, selon nous, par un vouloir qui n’est ni forcé ni indifférent, et qui cependant ne peut pas ne pas-être, étant le vouloir même constitutif de la vie. Pareillement, si nous voulons la connaissance, si nous voulons la vérité, cette « vérité » que Nietzsche couvre de ses railleries, ce n’est pas par un acte forcé ni par un acte arbitraire posant que la vérité a de la valeur : Sic volo. De même, enfin, la valeur de l’amour n’est pas une création de notre vouloir : elle est un fait, une loi de la nature et de l’esprit ; elle est le grand fait, la grande