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Page:Fouillée - Nietzsche et l’immoralisme, 2e éd., 1902.djvu/43

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part de socialité selon guyau

bien grossiers ». Aujourd’hui, « une simple hypothèse, une simple possibilité suffit pour nous attirer, nous fasciner… L’enthousiasme remplace la foi religieuse et la loi morale. La hauteur de l’idéal à réaliser remplace l’énergie de la croyance en sa réalité immédiate ».

Guyau prévoyait comme terme idéal du progrès une sorte d’an-archie métaphysique et religieuse, c’est-à-dire une liberté absolue pour tout ce qui dépend des hypothèses et croyances métaphysiques ou religieuses ; mais, en même temps, il prévoyait une socialisation progressive de la morale positive et scientifique. « C’est, disait-il, la liberté en morale, consistant non dans l’absence de tout règlement, mais dans l’abstention du règlement scientifique toutes les fois qu’il ne peut se justifier avec une suffisante rigueur »[1].

Nietzsche dira à son tour : « On relie la bonne conscience à une vision fausse, on exige qu’aucune autre sorte d’optique n’ait de valeur, après avoir déclaré sacro-sainte la sienne propre, avec les noms de Dieu, de salut, d’éternité ». Il protestera, lui aussi, contre les dogmatismes qui enferment la conscience dans des formules étroites et intolérantes ; il sera d’accord en cela avec Guyau. Mais il n’y a pas là, quoi qu’en dise Nietzsche, une réelle « transmutation de valeurs » ; c’est une élévation des vraies valeurs intérieures au-dessus des dogmes, des formules et des rites : l’irréligion de l’avenir n’est pas l’immoralité de l’avenir.

« Un mot encore contre Kant en tant que moraliste, s’écrie Nietzsche ; une vertu doit être notre invention, notre défense et notre nécessité personnelles ; prise dans tout autre sens, elle n’est qu’un danger. Ce qui n’est pas une condition vitale est nuisible à la vie : une vertu qui n’existe qu’à cause d’un sentiment de respect pour l’idée de vertu, comme Kant la voulait, est dangereuse. La vertu, le devoir, le bien en soi, le bien avec le caractère de l’impersonnalité, de la valeur générale,

  1. Esquisse d’une morale. Préface.