Page:Fourier - Sur l'esprit irréligieux des modernes et dernières analogies 1850.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La superstition, sous un masque de piété, s’attache à dégrader l’homme, le coopérateur de Dieu. Pour le façonner au dogme de l’enfer, elle le traite de cendre et de poussière, elle lui inspire, comme aux esclaves, un caractère d’abjection, de stupeur, qui détruit en lui tout pressentiment de ses hautes destinées. Comment celui qu’on affuble du titre de ver de terre, qui craint d’être déchiré dans les enfers par ordre de Dieu, pourrait-il présumer qu’il doit exercer l’alternat d’initiative avec Dieu en direction du mouvement, et qu’une opération de la plus haute importance, la concentration de l’univers, des étoiles fixes et de leurs tourbillons ne peut avoir lieu sans qu’un ver de terre, un homme, prenne sur ce globe l’initiative de cette immense métamorphose ?

La philosophie, sous un masque de raison, met en jeu des ressorts opposés à ceux de la superstition. Elle dégrade Dieu par l’hypothèse d’improvidence sur le code passionnel ; puis, plaçant la raison humaine au-dessus de Dieu par l’envahissement des fonctions législatives, elle ferme tout accès à la découverte du code divin, dont elle nie l’existence et ridiculise l’espérance.

Les deux sciences, en feignant de s’attaquer, sont de véritables complices. La superstition vient à l’appui des dogmes philosophiques en admettant pour sage et suffisante la législation humaine, et traitant de profanation la recherche des secrets divins sur les destinées générales, dogmes éminemment favorables à la philosophie, qui ne s’étudie de même qu’à détourner l’esprit humain de l’exploration du code divin, dont la découverte causerait l’anéantissement de tous les codes des hommes.

Ainsi les deux partis, en s’accusant respectivement des maux de l’humanité, concourent à l’envi à les perpétuer. Tous deux tendent, par des voies opposées, aux mêmes empiétements. Il n’y a de différence entre eux que le mode d’exclusion de Dieu. La philosophie empiète sur les droits divins en fonctions législatives à force ouverte et sous prétexte des droits du peuple et du règne de la raison. Quant à la superstition, elle empiète par astuce, et sous prétexte de maintenir les prérogatives divines, elle rompt les communications entre Dieu et l’homme, en interdisant l’étude de l’attraction et des destinées ; elle paralyse ainsi l’influence divine en feignant de la maintenir.

Toutes deux arrivent au même but, l’une en ravalant Dieu, l’autre en ravalant l’homme. Elles peuvent aller de pair en absurdité et en malfaisance, puisqu’elles concourent également à prolonger la lymbe civilisée, barbare et sauvage, et à cacher au genre humain ses brillantes destinées.

Tel est l’état des prétendues lumières au dix-neuvième siècle. Il est plus que jamais ballotté entre Charybde et Scylla, entre la superstition