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NOTICE

si jaloux, dit-il, qu’elle mourut de chagrin de ses tracasseries. »

Il s’était trop vengé sur cette honnête femme de toutes les coquettes qui l’avaient fait souffrir. Une surtout, la fille du procureur Sandrier, « car, dit encore Tallemant, ces filles de procureur luy estoient fatales, » l’avait longtemps promené et joué. On voit par un de ses sonnets la pauvre mine d’amant transi et muet qu’il faisait aux pieds de cette Cloris :

Cloris mon beau soucy, faut-il donc que je meure
D’un mal qui comme vous est sans comparaison.
Et que, sans vous prier d’y donner guérison.
Quelquefois tout le jour avec vous je demeure ?

Je tremble de respect, je rougis à toute heure,
Je fais l’homme d’esprit, et je perds la raison ;
Je parle librement quand je suis en prison,
Et, quand ma bouche rit, en mon âme je pleure.

Mais quand je vous dirois l’amour que j’ai pour vous
Cela ne serviroit qu’à vous mettre en courroux,
Et vous faire abréger la course de ma vie.

De penser vous fléchir, c’est une vanité :
Aussi, j’en pei-ds l’espoir, mais d’en perdre l’envie
J’ay trop d’affection, et vous trop de beauté.

Lestoille fit de ces vers-là par milliers ; mais, comme ils ne chantaient guère ses succès, il ne mit pas à les recueillir le soin qu’aurait mis un plus heureux. Près de mourir, il s’en débarrassa par un retour de conscience. Il les donna tous à un janséniste de ses amis, qui sans doute les brûla. Fort peu ont survécu dans les recueils du temps.

Ce sont des sonnets, des stances, des dialogues d’amour, et quelques chansons à boire, fort bien tournées, mais d’une ivrognerie, je crois, toute platonique, comme ses amours.

On y trouve aussi quelques stances congratulantes h Richelieu, non par flatterie, car sa brusque humeur y répugnait, mais par gratitude. Le ministre lui avait toujours voulu du bien : il l’avait mis de la société des Cinq autours qui lui faisaient une « pièce par mois, et quand l’Académie s’était fondée, il l’y avait fait entrer des premiers.

Tout cela valait bien quelques vers d’éloge.

Ils avaient toutefois dû coûter encore à Lestoille, « d’une probité dure, » comme on l’a dit, et d’une franchise intraitable. On racontait de lui qu’un pauvre poëte, qui l’avait consulté sur un de ses ouvrages, mourut du saisissement que lui avait causé la rudesse sans merci de ses critiques. Il ne transigeait un peu que pour lui-même, et encore à certaines heures seulement, en des moments de satisfaction plus abandonnée. Il se mettait alors au même