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russo-française ? Quand le viconte Joseph de Maistre fit les Soirées de Saint-Pétersbourg, pensez-vous qu’il posât les bases d’une nouvelle littérature ?

Vous parlez d’une littérature canadienne ; mais pouvez-vous prétendre que Nelligan et Lozeau — nos deux seuls poètes un peu remarquables — soient des écrivains canadiens ? Qu’y a-t-il de canadien dans leurs oeuvres ? Nelligan et Lozeau sont de notre pays, mais je vous défie bien de me montrer chez eux plus de préoccupation des choses de chez nous que vous n’en trouverez chez Verlaine, chez M. Henri de Régnier ou chez M. de Montesquiou-Fezensac. Vos compatriotes ne reconnaîtront chez eux rien d’exotique, et rien, sauf certaines faiblesses explicables seulement par l’influence d’un autre milieu, ne saurait trahir leur origine. Ils sont, comme la plupart de vos jeunes d’aujourd’hui, les bâtards de tous les poètes morbides et laborieux de ces vingt dernières années. Ils sont inspirés par la même muse neurasthénique et savante, parlent la même langue, usent des mêmes rythmes. Toutes leurs qualités, et presque tous leurs défauts, sont les mêmes. Enfin, ils traitent les mêmes sujets. Je vous demande un peu sur quoi vous pouvez bien vous fonder, après cela, pour classer Nelligan et Lozeau parmi les auteurs canadiens et non point parmi