Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/21

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

travail à faire quelque part. — C’est lui qui tout à l’heure avait transporté ma livrée du parloir au premier étage. Trois fois par jour, il allait chercher à la cuisine, pour les prisonniers du 17, la soupe ou le skelley, qu’il mangeait avec eux. Le reste du temps, il se tenait généralement en bas, dans le 15.

Tout de suite, il me plut beaucoup pour sa bonne tête de pochard sympathique. Il paraît que j’eus l’heur aussi de ne lui point déplaire, car, sans hésiter, il se mit à ma disposition « pour tous les petits services » qu’il pourrait me rendre. Il commença par m’enseigner la vraie manière de porter la camisole, et c’est de lui que je tiens l’art, plus subtil qu’on ne pense, d’arborer sur le coin de l’oreille le panama pénitentiaire.

Ayant suivi minutieusement ses indications, je lui demandai si cela pouvait faire ainsi. Il faut croire qu’il fut content de son élève, car, sans ajouter un mot, il tira de sa poche un minuscule miroir.

— Regardez ! fit-il simplement, l’œil allumé d’un éclair d’orgueil.

J’avoue que je ne fus pas sans éprouver moi-même quelque fierté.

— C’est sûr, me dis-je, si je paraissais dans ce costume rue Saint-Jacques, vers les dix heures du matin, j’aurais du succès !

J’en avais déjà beaucoup, pour l’instant, auprès de mes deux autres compagnons, lesquels étaient naturellement dispensés de la livrée. Il faut vous dire aussi qu’ils n’étaient accusés que de meurtre et de vol respectivement. Délits véniels, comme chacun sait.

La connaissance fut vite faite.

— Vous en avez-ti pour longtemps ? questionna le prétendu voleur.

— Pour trois mois.

— Je voudrais ben être à votre place.

Diable ! pensai-je.

Cependant, le meurtrier, un gros homme de quarante ans, à traits empâtés, me regardait avec des yeux ronds, rêveusement. C’était un Italien des Calabres, ne sachant pas un mot de français. Il attendait là son procès depuis plus d’un an. On