Page:Fournier - Souvenirs de prison, 1910.djvu/48

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Au début, le gouverneur se défiait. Il regardait d’un œil hostile tous ces inconnus, dont il n’avait jamais entendu parler dans son comté, non plus qu’au parlement de Québec ; aussi n’arrivaient-ils que lentement, et un par un, dans le 17. À la longue, cependant, la tutelle de M. Morin, à cet égard, se fit moins difficile. Le shérif, sur les derniers jours de mon internat, ayant permis qu’on m’envoyât les journaux, le gouverneur venait lui-même me les apporter — la plupart du temps en retard d’une journée, mais n’importe… Du Nationaliste, on m’adressait chaque jour les journaux français. Ceux-ci attendaient encore plus longtemps que les autres : « fallait les montrer à l’aumônier » ; ni la Croix ni l’Univers n’étaient exempts de cette formalité. Mais ce fut avec un sourire de pure béatitude que M. Morin m’apporta un jour, après dîner, une feuille de Paris qu’il venait de recevoir à mon adresse, et en faveur de laquelle il avait cru pouvoir prendre sur lui de faire une exception : c’était la Guerre sociale, du citoyen Gustave Hervé.

Quant aux livres, il finit par s’y accoutumer de même. Un jour il laissa passer l’ouvrage de Pellico, Mes Prisons. À dater de cette heure, l’audace de mes visiteurs ne connut plus de bornes.

— La prochaine fois, me dit l’un d’eux, je vous envoie du Maupassant.

Une vie ? Pierre et Jean… ?

— Oh bien plus amusant que cela ! Vous l’avez certainement lu ; c’est un de ses livres les plus célèbres…

— Mais lequel, encore ?

— Ce cochon de Morin[1].

  1. « Ce cochon de Morin », par Guy de Maupassant, 1 vol. in-18, édition Paul Ollendorf.