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C’est ça la Guerre ?


Des enfants rieurs, barbouillés, mal peignés ; cheveux couleur de paille mûre, yeux clairs, joues vermillonnées comme celles des madones campagnardes.

L’après-midi d’été s’étire paresseusement. Les hommes sont aux champs. La grand’rue du village où les gosses règnent en maître à cette heure est toute imprégnée de l’odeur des foins qu’on vient de couper dans les champs voisins.

…Ils ont organisé le jeu de la guerre, jeu attrayant, passionnant entre tous. Non sans difficultés d’ailleurs, car personne ne voulait être « les Boches ».

Popaul, le plus grand, a proposé, « comme de juste », de tirer au sort. Il a fait placer ses camarades en cercle et les a consciencieusement bourrés de coups de poing en récitant :

Une poule sur un mur
Qui picote du pain dur…

Mais on n’est pas arrivé à s’entendre, et à la fin les plus faibles, vaincus d’avance, ont été désignés pour être « les Boches », c’est-à-dire ceux qui, après avoir fait bien peur aux autres, doivent se laisser battre, recevoir les projectiles plus ou moins propres qui leur sont lancés et crier : « Kamarad ! » en levant les bras. Bref, Petit-Louis, Tintin et Riri furent choisis pour ce rôle de victimes.

Ils étaient les plus petits et les plus pauvres. Les plus pauvres, oui, car même chez ces enfants de paysans une hiérarchie se forme, basée sur la richesse en terres et en bêtes de leurs parents.

Un des combattants — Jojo — protesta contre ce choix : les Boches n’étaient ni assez forts, ni assez nombreux ; on n’aurait aucun mérite à les vaincre. Mais la guerre commençait, on ne l’entendit pas.

Hurlements, vociférations, courses échevelées… Les gosses se laissaient emporter à toute la frénésie du jeu. Une loque au bout d’un bâton faisait office de drapeau et c’était pour cette loque que l’on se battait ! Une trompette fêlée, un tambour à demi-crevé ranimaient les ardeurs des combattants, encore que cela ne fût guère nécessaire.

Une jeune femme blonde à l’air triste, attirée par le bruit, parut sur le seuil d’une maisonnette à toit de tuile. Elle menaça Jojo du doigt et lui cria : « Je t’avais défendu de jouer à ça ! » Mais le chevaleresque Jojo lui-même, ivre de cris et de gesticulations, fit semblant de ne rien entendre.

C’était si amusant, la guerre !… On courait, on s’agitait, on était brave, héroïque sous le beau soleil, on se sentait fort et on était orgueilleux de cette force !…

La trombe dévala en galopant la rue du village, à la poursuite des trois « Boches ». La jeune femme triste haussa les épaules et rentra.

Des cris de victoire se firent entendre déjà lointains ; la ligne de feu s’était déplacée. Puis tout à coup un hurlement de douleur s’éleva, suivi d’un silence soudain, qu’une longue plainte déchirante brisa à nouveau. On accourut de toutes les maisonnettes.

Là-bas, à l’orée du petit bois, la troupe guerrière, atterrée, formait un groupe compact penché au-dessus de Riri qui gisait sur le rebord d’un talus, le visage couvert de sang. Un caillou trop bien lancé lui avait crevé l’œil gauche. Il se tordait à terre et appelait sa mère, ses deux petites mains sales pressées contre le trou sanguinolent.

Pâles, bouleversés, les gosses tassés en cercle près de leur victime n’osaient la toucher. Et une femme arriva, folle de douleur, écarta brutalement le groupe, se jeta sur le blessé qu’elle enleva dans ses bras d’un geste sauvage en hurlant : « Mon petiot, mon petiot, quoi qu’y t’ont fait les sales brutes !… »

Elle repartit en courant, emportant son trésor ; une légère traînée sanguinolente se marquait sur son passage.

Jojo n’avait pas bougé. Ses bonnes joues d’enfant bien portant avaient blanchi d’émotion et il tremblait de tous ses membres. Et, plus délicat d’instinct peut-être que les autres, il entrevit la grande horreur. La jeune femme blonde et triste venait d’arriver et l’appelait. Jojo la vit et il vit aussi la petite flaque rouge sur la poussière blanche de la route et cette autre femme qui courait là-bas, serrant dans ses bras un enfant au visage tuméfié… Il eut un geste vers sa mère qui demandait aide et protection : « M’man, fit-il d’une voix angoissée et comme si une grande chose terrible lui était apparue tout à coup, m’man, alors, c’est ça la guerre ?… »

Marceline Hecquet.


CHAIR À CANON

Ce petit être joyeux et fort
Qui se hale au grand air marin
Et se roule mi-nu sur le sable fin
Près de la mer aux mille reflets changeants,
Cette bouche rieuse prompte aux baisers,
Ces cheveux bouclés et légers
Où le soleil allume des rayons,
Ces grands yeux pleins de foi,
Et toute cette chair dorée de mon enfant ;
Cette vie en fleur,
Cette promesse de demain rayonnante,
Qui sera plus que nous n’avons été,
Et tout cet espoir frémissant
Pour aboutir à quoi ?…

. . . . . . . . . . . . . . .

Un tas informe de matière grise et puante

Dans un champ dévasté où l’on meurt
Parmi les obus éclatés
Et les flaques de sang séché.

. . . . . . . . . . . . . . .

Mères, faites des enfants,

Hâtez-vous, les rangs sont dépeuplés
Pour les hécatombes futures,
Hâtez-vous, car leur chair sera la rançon
De Leur Or.

Marceline Hecquet.