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UN MURILLO

— Monsieur le curé, voyons… firent ensemble tous les assistants.

— Dame, mes bons amis, dit le saint prêtre, le cas est bien embarrassant… Cependant, puisque Dieu leur envoie cette aubaine, il doit y avoir un moyen… Au fait, il y aurait un moyen… Mais…

— Monsieur le curé, je vous comprends, interrompit joyeusement le jeune médecin. Vous l’avez trouvé, le moyen ! Il n’y en a point d’autre… Et si Mme Flavigny avait par hasard la moindre velléité de me demander la main de ma cousine pour son fils, après ce que j’ai remarqué chez moi, le long de la route et ici, je lui donne ma parole d’honneur que j’irais « mettre les bancs à l’église » avant la quinzaine.

— Et je vous garantis que cela ne vous coûterait pas cher, dit le curé.

— J’en accepte votre parole, monsieur l’abbé. Quant à moi, je n’ai qu’une condition à imposer : c’est que, pour éviter tout nouveau conflit d’intérêt, les futurs époux soient en communauté de biens.

— Bravo ! Noël ! Noël !

Les deux enfants étaient si confus qu’ils n’osaient pas lever les yeux l’un sur l’autre.

L’aveugle, toute tremblante, étendit les deux bras vers Suzanne, qui s’y précipita en sanglotant.

Maurice mit un genou en terre.

Et pendant que Lisette, Julie « la Louise » et la petite bonne se passaient le tablier sur les yeux, il saisit la main de Suzanne et y déposa un long et ardent baiser.

— Bénissez-les, monsieur le curé, disait la bonne mère, en essuyant elle aussi, ses pauvres yeux éteints ; bénissez-les, vous qui pouvez les voir !