Page:Fréchette - Poésies choisies, I, 1908.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 81 —


On égorge partout, sous les lits, dans la rue ;
On poignarde, on fusille, on écartèle, on fend
Le crâne du vieillard sur le corps de l’enfant ;
On déchire le ventre à des femmes enceintes ;
Et plus loin, arrachés aux suprêmes étreintes,
On jette en pleins brasiers des petits au berceau ;
Enfin, quand le village est réduit en monceau
De débris calcinés et de cendres rougies,
Pour assouvir leur soif d’effroyables orgies,
Les démons tatoués s’en vont en tapinois
Recommencer plus loin leurs monstrueux exploits.[1]

Ô France, ces héros qui creusaient si profonde,
Au prix de tant d’efforts, ta trace au nouveau monde,
Ne méritaient-ils pas un peu mieux — réponds-moi ! —
Qu’un crachat de Voltaire et le mépris d’un roi !

  1. « On était rendu aux premiers jours du mois d’août (1689), et rien n’annonçait un événement extraordinaire, lorsque, tout à coup, quatorze cents Iroquois traversèrent le lac Saint-Louis, dans la nuit du 5, durant une tempête de grêle et de pluie qui les favorise, et débarquent en silence sur la partie supérieure de l’île de Montréal. Avant le jour, ils se sont placés par pelotons, à toutes les maisons, sur un espace de plusieurs lieues. Les habitants sont plongés dans le sommeil. Les Iroquois n’attendent plus que le signal : il est donné. Alors s’élève un effroyable cri de mort ; les portes sont rompues, et le massacre commence partout en même temps. Les sauvages égorgent d’abord les hommes ; ils mettent le feu aux maisons qui résistent, et lorsque la flamme en fait sortir les habitants, ils épuisent sur eux tout ce que la fureur et la férocité peuvent inventer. Ils ouvrent le sein des femmes enceintes, pour en arracher le fruit qu’elles portent, et contraignent les mères à rôtir vifs leurs enfants. Deux cents personnes périssent dans les flammes. Un grand nombre d’autres sont entraînées dans les Cantons pour y souffrir le même supplice. L’île est inondée de sang et ravagée jusqu’aux portes de la ville de Montréal. De là, les Iroquois passent sur la rive opposée ; la paroisse de La Chenaie est incendiée tout entière, et une partie des habitants est massacrée. » (Garneau, Hist. du Canada.)