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mée, de Piédelac (Côtes-du-Nord), mort octogénaire il y a quelques années ; Joseph et Lucien Sèvres, de Chapeau, près Moulins (Allier), devançant deux familles qui totalisaient vingt membres (un 21e devait naître à Wauchope), Joseph et Alphonse Rogg, de Paris, dont les fils sont encore cultivateurs ; François Mahé, de Theix (Morbihan), que devaient suivre deux frères, Pierre et Jean-Marie ; Thomas Gay, Louis et Joseph Maurice, de Lyon ; Louis Briand, des Côtes-du-Nord ; les Delalleau, trois familles du Nord ; Yves-Marie, Charles et Jean-Louis Cousin, de Ploudaniel (Côtes-du-Nord) ; Pierre Guennec, un autre Breton ; Henri Clochard, un Vendéen : François et Hyacinthe Martine, de Loudéan (Ille-et-Vilaine). Plus tard, on relève encore les noms de Pierre Roy et Albany Brizard, de l’Île de Ré (Charente-Maritime) ; Oscar Meurin, d’Armentières (Nord) ; Alphonse Évesque, de Gravières (Ardèche), et de nombreux autres.

On semble avoir eu de grandes ambitions, à l’origine de Wauchope, sur le plan scolaire et culturel. Pierre Escaravage, qui dirigeait un pensionnat en France, songe à ouvrir un établissement similaire dans la bourgade naissante. Charles Fytre, venu de La Rochelle, doit y donner un cours d’instruction primaire supérieure. Le directeur se propose d’y ajouter des leçons de dessin, de musique et de déclamation en dehors des heures de classe, voire d’organiser une société musicale qui pourra donner des concerts. C’était aller un peu vite, d’autant plus que l’élément de langue anglaise prenait de l’essor à côté du groupe franco-belge. Il fallut attendre l’arrivée des Sœurs de Notre-Dame-de-la-Croix de Murinais (Isère), une douzaine d’années plus tard, pour mettre l’enseignement français sur le pied désiré.

Maurice Quennelle avait ouvert dès le début un « magasin général ». Il le céda plus tard au Lyonnais François Bernuy, afin de se consacrer entièrement à ses propriétés. Un autre Lyonnais, Jean Gaudet, monta une boulangerie et le Vendéen Henri Clochard se chargea de la boucherie. Un ancien jardinier de Nouvaux, près Lille, A. Huybrecht, après un premier séjour à Grande-Clairière, vint tenir le commerce du bois et des machines agricoles.

Les premières années furent très difficiles. Une chute de neige prématurée et un orage de grêle éprouvèrent durement les cultivateurs. Mais peu à peu la situation s’améliora, les récoltes devinrent plus assurées et les animaux, qui leur avaient permis de vivre quand les céréales faisaient défaut, continuèrent d’être de bon rapport. Parmi les pionniers, plusieurs s’éloignèrent pour aller tenter fortune ailleurs. Un seul des trois frères Cousin, Jean-Louis, est demeuré à Wauchope ; Charles a été tué à la guerre : Yves-Marie s’est établi définitivement à Bellevue où il est mort laissant sept fils et deux filles ; leur sœur, Eugénie (veuve Paul Guiguet), vit avec ses enfants à Casablanca. Les frères Mahé sont passés, l’un au Manitoba, les deux autres dans l’Alberta. Julien Escaravage, fils de Pierre, est dans l’assurance à Winnipeg.

Wauchope eut l’honneur de donner aux Franco-Canadiens de la Saskatchewan le premier président de leur association, dans la personne de Maurice Quennelle. Ce Français distingué eut malheureusement une fin tragique dans un accident sur sa ferme. Sa veuve et ses enfants poursuivent l’œuvre agricole et commerciale inaugurée il y a plus d’un demi-siècle par ce vaillant pionnier.

Wauchope fut officiellement la dernière fondation de l’abbé Gaire ; mais il devait contribuer généreusement à jeter les bases de plusieurs autres centres de la Saskatchewan, comme Wolseley, Dumas, Forget, Storthoaks, et jusqu’à Fenn, dans l’Alberta.


La grande énergie d’un petit curé Lorrain

L’un des traits caractéristiques de ce prêtre lorrain fut l’austérité incroyable dont il fit preuve toute sa vie. Il se contentait de $300 par année pour sa pension ; le reste de son avoir allait en charités et bonnes œuvres. Comme il avait maintes fois exprimé le désir d’un pèlerinage en Terre sainte, ses amis recueillirent à cette fin $2,000, dont 700 à Grande-Clairière. Pour une raison ou pour une autre, le voyage fut remis, puis abandonné et l’argent passa dans la caisse des pauvres.

L’infatigable colonisateur, tant que ses forces le lui permirent, continua en France et en Belgique ses randonnées de propagande en faveur de l’Ouest canadien. La lettre suivante qu’il écrivait de Séez à Mgr Langevin, le 4 novembre 1901, donne un aperçu de son activité extraordinaire :

« Me voilà presque au bout de ma deuxième grande tournée, celle du nord-ouest de la France. J’ai traversé les diocèses d’Arras et d’Amiens, ceux de la Normandie, Rouen, Bayeux, Coutances et Séez. Je serai demain à Évreux, en route pour Lille où je serai de retour pour le 15. Ce jour-là, je compte parler de notre Canada au congrès catholique. Et surtout, j’ai visité le fond de la Bretagne, dont les diocèses de Rennes, de Vannes, de Quimper et de Saint-Brieuc sont dès maintenant tous gagnés à notre cause ; de là il nous viendra des milliers de colons.

« Dans deux mois, à l’occasion de mon voyage au centre et au sud de la France, je retournerai en Bretagne pour un itinéraire de conférences à Brest, Saint-Brieuc, Guingamp, Quimper, Rennes, etc. C’est alors que je pourrai voir le diocèse de Nantes, puis les autres de l’ouest, du centre, du sud et de l’est de la France. En résumé, mes succès en Bretagne sont dès ce moment les plus considérables que j’aie rencontrés jusqu’à ce jour au point de vue de l’émigration. C’est le salut matériel et spirituel de milliers de pauvres Bretons : tous les prêtres de la Bretagne comprennent cela à merveille ; aussi partout l’on m’a fait le meilleur accueil, dans les presbytères comme dans les collèges et les séminaires. »

Avec l’âge, l’abbé Gaire dut renoncer à ces voyages épuisants et borner son activité à la