Page:François Hüe - Souvenirs du Baron Hüe publiés par le baron de Maricourt, 1903.djvu/235

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douleur. Mademoiselle de Brévannes a composé, à cette occasion, la complainte suivante de la Jeune prisonnière (paroles et musique), qu’elle a chantée en cet endroit :

Du fond de cette tour obscure
Où m’a confinée le malheur,
Vainement toute la nature
Me paraît sourde à ma douleur.
Ah ! cependant des cœurs sensibles
Que je sais s’occuper de moi
Rendent mes chaînes moins pénibles
Et me prouvent encor leur foi[1]

  1. Hüe, par un scrupule de modestie, s’est gardé de transcrire la suite de cette romance qui célèbre son attachement à la fille de Louis XVI et le compare à Blondel auprès de Richard. On conserve dans la famille Hüe un tableau de l’époque représentant la tour et le jardin du Temple où se promène Madame Royale. On y aperçoit les fenêtres de la Rotonde derrière lesquelles madame Hüe accompagnait sur la harpe mademoiselle de Brévannes et madame Daguerre, artiste de Louvois, qui venait également y chanter aux heures de promenade de Madame.

    Devant cette toile, d’exécution médiocre mais d’expression très vive, on ne peut se défendre d’un sentiment d’émotion réelle. En face d’elle l’imagination, remontant le cours des ans, se transporte aux heures où se déroulaient ces pénibles scènes. En vérité, ce ne devait pas être chose banale que le spectacle de ces trois jeunes femmes, émues et tremblantes, venant en compagnie du serviteur de Louis XVI, vieilli par la douleur, dans la chambrette de la Rotonde. Et on les voit, tous quatre dans quelque mansarde miséreuse, au cours d’une de ces journées accablantes de l’été parisien, bravant l’émotion pour chanter tour a tour les mièvreries de Dorilas et de Célis, cependant que la fille de Louis XVI les écoute, anxieuse de deviner l’énigme de leurs romances, dans le triste jardin du Temple ou son petit chien Coco la suit, en folâtrant, dans la maigre verdure des plates-bandes…