Page:France - Opinions sociales, vol 1, 1902.djvu/32

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

petit Martin. Elle tâtait un gros chou. Ses cheveux brillaient au soleil comme d’abondants fils d’or largement tordus. Et le petit Martin, un pas grand’chose, un sale coco, lui jurait, la main sur son cœur, qu’il n’y avait pas plus belle marchandise que la sienne. À ce spectacle, le cœur de Crainquebille se déchira. Il poussa sa voiture sur celle du petit Martin et dit à Mme Laure d’une voix plaintive et brisée :

— C’est pas bien de me faire des infidélités.

Mme Laure, comme elle le reconnaissait elle-même, n’était pas une duchesse. Ce n’est pas dans le monde qu’elle s’était fait une idée du panier à salade et du Dépôt. Mais on peut être honnête dans tous les états, pas vrai ? Chacun a son amour-propre, et l’on n’aime pas avoir affaire à un individu qui sort de prison. Aussi ne répondit-elle à Crainquebille qu’en simulant un haut de cœur.

Et le vieux marchand ambulant, ressentant l’affront, hurla :

— Dessalée, va !

Mme Laure en laissa tomber son chou vert, et s’écria :

— Eh ! va donc, vieux cheval de retour ! Ça sort de prison, et ça insulte les personnes !

Crainquebille, s’il avait été de sang-froid, n’aurait jamais reproché à Mme Laure sa condition. Il savait trop qu’on ne fait pas ce qu’on veut dans la vie, qu’on ne choisit pas son métier, et qu’il y a du bon monde partout. Il avait coutume d’ignorer sagement ce que faisaient chez elles les clientes, et il ne méprisait