Page:France - Opinions sociales, vol 1, 1902.djvu/35

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exprimer ses idées sur les vices du système et sur les réformes nécessaires, et que ses pensées ne se déroulaient pas dans sa tête avec ordre et mesure.

Le malheur le rendait injuste. Il se revanchait sur ceux qui ne lui voulaient pas de mal et quelquefois sur de plus faibles que lui. C’est ainsi qu’il donna une gifle à Alphonse, le petit du marchand de vin, qui lui avait demandé si on était bien à l’ombre. Il le gifla et lui dit :

— Sale gosse ! c’est ton père qui devrait être à l’ombre au lieu de s’enrichir à vendre du poison.

Acte et parole qui ne lui faisaient pas honneur ; car, ainsi que le marchand de marrons le lui remontra justement, on ne doit pas battre un enfant, ni lui reprocher son père, qu’il n’a pas choisi.

Il s’était mis à boire. Moins il gagnait d’argent, plus il buvait d’eau-de-vie. Autrefois économe et sobre, il s’émerveillait lui-même de ce changement.

— J’ai jamais été fricoteur, disait-il. Faut croire qu’on devient moins raisonnable en vieillissant.

Parfois il jugeait sévèrement son inconduite et sa paresse :

— Mon vieux Crainquebille, t’es plus bon que pour lever le coude.

Parfois il se trompait lui-même et se persuadait qu’il buvait par besoin :

— Faut comme ça, de temps en temps, que je boive un verre pour me donner des forces et