Page:France - Opinions sociales, vol 1, 1902.djvu/37

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Enfin, il était démoralisé. Un homme dans cet état-là, autant dire que c’est un homme par terre et incapable de se relever. Tous les gens qui passent lui pilent dessus.

La misère vint, la misère noire. Le vieux marchand ambulant, qui rapportait autrefois du faubourg Montmartre les pièces de cent sous à plein sac, maintenant n’avait plus un rond. C’était l’hiver. Expulsé de sa soupente, il coucha sous des charrettes, dans une remise. Les pluies ayant tombé pendant vingt-quatre jours, les égouts débordèrent et la remise fut inondée.

Accroupi dans sa voiture, au-dessus des eaux empoisonnées, en compagnie des araignées, des rats et des chats faméliques, il songeait dans l’ombre. N’ayant rien mangé de la journée et n’ayant plus pour se couvrir les sacs du marchand de marrons, il se rappela la semaine durant laquelle le gouvernement lui avait donné le vivre et le couvert. Il envia le sort des prisonniers, qui ne souffrent ni du froid ni de la faim, et il lui vint une idée :

— Puisque je connais le truc, pourquoi que je ne m’en servirais pas ?

Il se leva et sortit dans la rue. Il n’était guère plus de onze heures. Il faisait un temps aigre et noir. Une bruine tombait, plus froide et plus