Page:France - Opinions sociales, vol 1, 1902.djvu/39

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daient Crainquebille avec tristesse, vigilance et mépris.

Crainquebille étonné, mais gardant encore un reste de résolution, balbutia :

— Mort aux vaches ! que je vous ai dit.

Il y eut un long silence durant lequel tombait la pluie fine et rousse et régnait l’ombre glaciale. Enfin le sergot parla :

— Ce n’est pas à dire… Pour sûr et certain que ce n’est pas à dire. À votre âge on devrait avoir plus de connaissance… Passez votre chemin.

— Pourquoi que vous m’arrêtez pas ? demanda Crainquebille.

Le sergot secoua la tête sous son capuchon humide :

— S’il fallait empoigner tous les poivrots qui disent ce qui n’est pas à dire, y en aurait de l’ouvrage !… Et de quoi que ça servirait ?

Crainquebille, accablé par ce dédain magnanime, demeura longtemps stupide et muet, les pieds dans le ruisseau. Avant de partir, il essaya de s’expliquer :

— C’était pas pour vous que j’ai dit : « Mort aux vaches ! » C’était pas plus pour l’un que pour l’autre que je l’ai dit. C’était pour une idée.

Le sergot répondit avec une austère douceur :

— Que ce soye pour une idée ou pour autre chose, ce n’était pas à dire, parce que quand un homme fait son devoir et qu’il endure bien des souffrances, on ne doit pas l’insulter par des