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par un mouvement superbe de l’instinct populaire, marquaient une ère nouvelle de l’humanité. L’appareil pompeux, qui depuis un temps immémorial honorait la force et la violence, on le voyait pour la première fois accompagner la douce puissance de l’esprit et célébrer une gloire innocente. Funérailles éloquentes, symbole magnifique de l’idée révolutionnaire : à ce signe, il apparaissait que le peuple substituait désormais dans son cœur au dogme la pensée libre, au pouvoir absolu la liberté, aux images de la force les marques de la raison, à la guerre la justice et la paix, à la haine l’amour et la fraternité.

Comme le peuple qui, un siècle auparavant, avait pris la Bastille, le peuple qui fit l’apothéose de Victor Hugo sentit confusément ce qu’il faisait, et qu’il honorait moins un poète, tout grand qu’était celui-là, que la poésie et la beauté, et que, s’il célébrait le vieillard qui avait jeté au monde tant de pensées et de paroles, c’était afin de reconnaître en lui la souveraineté de la parole et de la pensée.

C’est dans ce même esprit, c’est avec ce même cœur, citoyens, que nous célébrons aujourd’hui le centenaire de Victor Hugo. Certes, nous ne ferons pas du poète un dieu, et nous nous garderons de toutes les idolâtries, même de la plus excusable, de l’idolâtrie des grands hommes. Nous nous garderons d’opposer aux vieux dogmes un dogme nouveau, et de substituer à l’autorité du théologien et du prêtre l’autorité du penseur et du poète.