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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/140

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deau et, sagement, descendit à côté d’elle, comme un jeune homme bien élevé a coutume de le faire lorsqu’il escorte une femme du monde sous les yeux d’un portier.

Mais, sitôt la porte cochère refermée, il se retrouvèrent dans l’obscurité déserte de la rue, et Anne elle-même n’eut plus peur… Leurs bras à tous deux s’ouvrirent du même geste spontané, et ils fermèrent les yeux pour que leurs bouches pussent mieux savourer, en s’épousant, un goût qu’elles avaient ce soir de sel, de nuit et de mystère.

Jacques entraîna sa compagne un peu plus loin, dans une encoignure formée par le retrait d’une maison, et, se pressant le long d’elle avec une sorte de frénésie, la caressait d’une caresse sans mains, où le corps seul, tendu contre le corps aimé, vibrait du bonheur joyeux de tous ses atomes : des joues en feu brûlant les joues de pourpre aux jambes devinant les jambes à travers les étoffes, de la poitrine battante repoussée par les seins offerts aux pointes des genoux magnétisant les genoux. Étreinte hiératique, longue, muette, forcenée ?

— Anne, je vous aime, dit Jacques lorsqu’il put parler. Je vous aime et je vous veux. Nous ne pouvons pas nous embrasser ainsi, comme des mendiants qui n’ont pas de maison. Il faut…

— Oui, dit-elle. Je veux bien.

— Oh ! Quand ? Mon amour, quand veux-tu ?

— Quand tu voudras ?

— Ah ! que je t’aime !… Mais, où irons-nous ? Écoute, je vais chercher… Je trouverai… Il nous serait facile d’accepter n’importe quoi, une chambre banale… Mais je ne veux pas de chambre banale pour un tel amour… Je voudrais… Je voudrais un endroit de l’univers qui n’ait servi qu’à nous, où personne avant nous n’ait eu l’audace de traîner un amour inférieur, un amour de tout le monde.