Aller au contenu

Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

val aveugle dans un moulin, pour que la bonne farine soit mangée par un tas de mufles qui me donnent des coups de pied par derrière, être arrivé à mon âge pour qu’un petit galopin, que je sustente et que j’habille, me reproche l’apéritif que je suis obligé de prendre dans un café en y attendant les hommes d’affaires qui doivent m’enrichir, et l’enrichir par le fait même… ah ! c’est dur !.. Mais, petit sot que tu es !… tiens, j’ai pitié de toi. Cent francs !… Attends seulement quinze jours, que j’aie signé mon contrat avec Mazarakis et le prince Popototoff, le propriétaire de la mine d’alcool du Caucase, et ce n’est pas cent francs que je te donnerai, mais un joli carnet de chèques, avec un crédit de trois mille francs. C’est ça qui est chic, mon petit. Au lieu d’avoir les poches chargées de billon, tu entres dans un magasin, tu achètes ce que tu veux et, au moment de payer, tu détaches un chèque. Je suppose que tu ne te plaindras pas. Trois mille francs !… Et tu me feras le plaisir de donner cette redingote à un pauvre et de te commander chez un tailleur de la Canne-bière un complet à la dernière mode. Je ne veux pas que mon fils ait l’air d’un ramasseur de mégots, même chez lui… Du reste, en général, tout va changer ici : tu dois comprendre que j’en ai assez d’avoir toujours devant les yeux, lorsque je les relève, ce vieux sabre bavarois sur ce papier de tenture dont Eugénie ne voudrait pas pour sa chambre… Je paierai aussi les mois arriérés d’Eugénie, et la note de cette sombre brute de tailleur, à qui je redois un gilet blanc depuis l’année de l’Exposition, celle de quatre-vingt neuf ; tu sais bien, Barboto. Il est encore revenu ce matin. L’obstination de cet homme m’effraie…

— Alors, vraiment, demanda Jacques, à qui le désir de croire donnait toutes les illusions, tu me donneras un carnet de trois mille francs dans quinze jours !