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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/182

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— Je n’avais pas grand’faim en arrivant, dit M. Cabillaud, pour résumer en quelques paroles l’impression qu’il conservait de tant de désastres, mais on pourrait bien maintenant me monter un repas de chez Pascal, je n’y toucherais pas. Et toi ?

— Moi non plus, dit Jacques.

— Eh bien ! le mieux est d’aller dormir. Puisque ton père est parti, tu me prêteras sa chambre pour ce soir. Aussi bien, je ne peux plus mettre un pied devant l’autre… La nuit porte conseil. Nous verrons demain ce que nous aurons à faire.

— Je ne vois pas ce que nous pourrons trouver.

— On ne sait jamais… La Providence n’abandonna pas ceux qui ont confiance en elle, et on se tire des plus mauvais pas. Je me suis laissé aller tout à l’heure à un mouvement de désespoir, j’avais tort. On peut toujours s’arranger… Certes, je ne me dissimule pas que la situation sera parfois difficile, mais enfin… Et puis, la résistance physique de l’homme est une chose qui a toujours stupéfié les naturalistes. Ils ont calculé qu’un cheval mourrait trois fois là où un homme triomphe, pour ainsi dire, le sourire sur les lèvres… Allons ! Allons ! mon cher enfant, ne te désespère pas. Ton père peut écrire, envoyer de ses nouvelles, de l’argent, il est même capable de revenir, je le connais… Allons dormir… Aie ! ma jambe ! Aide-moi un peu, je te prie. Là ! merci ! Tu es mon bâton de vieillesse, le soutien de mes pas chancelants, c’est le cas de le dire… Bonne nuit et bon courage !… J’ai tout ce qu’il me faut, ne t’inquiète pas : une moitié de bougie et un volume de Nietzsche. Ah ! c’est une lecture de circonstance… Si Nietzsche pouvait nous voir, il serait tout à fait épaté de la façon dont nous nous sommes surpassés… Bonne nuit !