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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/206

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homme, la recherche de l’idéal. On ne le trouve pas toujours, mais enfin on est bien excusable de s’en inquiéter. En outre, Juliette était sevrée depuis longtemps, elle avait reçu une éducation très soignée, on la menait dans le monde, elle y remportait des triomphes. Que lui fallait-il donc ? Mystère des caprices féminins !…

Ainsi, Juliette voulait Madame Brémond pour soi toute seule. Elle ne songeait pas à se demander ce qu’elle en aurait fait, du matin au soir. Les journées sont longues, ô jeunes filles, et les sujets de conversation ne paraissent possibles ou séduisants que lorsqu’on n’a pas le temps de causer… Juliette voulait Madame Brémond pour soi seule, tout court, sans savoir pourquoi, gratuitement, et sans doute, — oh ! fi donc ! Juliette égoïste, — pour ne point permettre qu’elle fût heureuse sans sa fille.

Décidément, de telles exigences ne sont pas défendables, et il m’est impossible de trouver la moindre excuse à la conduite que Juliette tînt, un certain soir, au mois de mars, après le dîner.

Parce qu’elle avait rencontré en rentrant de promenade M. Juigné de Chamaré seul avec Madame Brémond, et qu’elle en avait tiré de suite des conclusions que rien ne justifiait, parce qu’après, elle avait trouvé à sa mère un air trop calme pendant le repas (fallait-il donc que la charmante dame parût bouleversée ?), parce qu’elle avait trop lu depuis quelques jours Baudelaire, (encore un auteur qu’on ne devrai ! pas laisser traîner entre toutes les mains !), parce qu’il faisait un de ces temps excessifs où tous les crapauds des jardins marseillais s’étaient mis à entamer leur monotone complainte, (il paraît que certaines gens ne peuvent pas l’entendre sans en éprouver les plus déprimants résultats sur leur sensibilité), parce qu’enfin les jeunes filles sont les jeunes filles et qu’on n’a jamais pu,