Cette dame achetait des fards. Eh bien ! après ?… Est-ce que l’enchantement de son sourire ne démentait point ce que cette démarche avait de terrestre ? Est-ce qu’il n’établissait pas une limite indubitable entre la femme du monde qu’elle voulait bien paraître et le sylphe léger, né pour le seul Amour, qu’elle était, à l’insu peut-être de mille préjugés, que, peut-être, elle croyait. Et lui-même Jacques, au passage de cet instant révélateur, comprit bien que les cinquante centimes qu’il avait au gousset, le frac de son oncle Adolphe qu’il allait mettre, les danses de Madame Morille, l’existence et les voyages de son père, l’inquiétude à cause de sa barbe négligée, et le quelconque des vêtements qu’il portait, que tout cela n’était rien que les accidents et les prétextes d’un être insoupçonné et qui venait de surgir, aérien, ardent, tout en désir, merveilleusement attiré et possédé par cette passante.
Une seconde, la dame blonde vit Jacques de Meillan et elle vit qu’il la regardait. Mais elle était trop dame blonde pour qu’elle écoutât la fée. Elle paya la crème et le raisin, souffla sur le nuage blanc du boa dont elle fut, soudain, entourée, et partit.
Pauvre calomnié coup de foudre ! Il faut encore en venir là. Avec une demi-douzaine de ficelles et de trucs dont les vaudevillistes les plus fatigués ne veulent plus, la vie sait arranger ses petits décors et ses petites comédies, et c’est une surprise inépuisable pour des gens habitués aux raffinements de la composition littéraire que la banalité et les redites dont ce vieux dramaturge fait ses délices… Ce que je trouve de fâcheux dans le cas de mon ami, c’est qu’il venait à peine de quitter sa maison, et que la Fatalité aurait très bien pu attendre jusqu’au soir pour lui jeter à la tête cette aventure. Tout le monde sent bien