qu’on prétend n’être due qu’à l’opération des siècles. M. Bombard dont la spécialité comme avocat était de défendre les cocottes au détriment des orphelins ne rougissait pas de serrer la main à Madame Défayyantz dont le mari avait déjà assassiné un chef des eunuques du harem, avant de venir vendre des tapis de Turquie sur le quai de la Fraternité. Madame Morille, sans s’élever pourtant jusqu’à la sérénité de la contemplation philosophique, aimait autour d’elle ce mélange et appréciait ce faisandage, non moins encore que l’apparence de dignité aimable dont chacun était, comme d’une livrée, revêtu.
Car toutes ces personnes qui, le jour, se différenciaient violemment dans la rue par le port de leur chapeau, la manière d’avachir leur jaquette et l’exubérance inégale de leurs opinions politiques, prenaient, le soir, sous le frac et la robe basse, l’air uniforme de gens qui, ayant tous bien dîné, sont devenus conservateurs opportunistes et souriants défenseurs de la propriété et de la famille… On n’aurait jamais deviné, à le voir si galamment penché sur les épaules de Madame Bombard, qu’il semblait respirer comme le parfum d’un jardin de chair, que M. Augustin Paillon, le médecin gynécologue et sans malades, n’avait dîné tout à l’heure que du souvenir de son déjeuner du matin et qu’il porterait demain et longtemps après avec son veston, la cravate blanche si délicatement étranglée que lui enviaient alors bien des jeunes élégants.
M. Morille voulait devenir conseiller municipal. Il invitait des électeurs.
Jacques de Meillan n’arriva qu’au milieu de la fête. Murmurant les immortelles et enivrantes paroles de la Valse Bleue, des adolescents et des vieillards, tournoyaient, enlaçant les pures jeunes filles que le relâchement des mœurs européennes abandonnait à leur passagère étreinte. Il