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Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/56

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votre peine, vous aurez des petits-fours, du champagne et des cigares à gogo… Hein ! hein ! ils sont bons, les cigares du papa Morille ! Tiens, mais, continua-t-il en s’adressant plus spécialement à Jacques, vous, monsieur, je ne vous ai pas encore vu chez moi.

— C’est Madame Morille qui…

— Oui, oui, ma femme invite comme ça un tas de gens… Ça m’est égal d’ailleurs… Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse ? Vous m’êtes même sympathique et c’est bien rare que je puisse le dire sincèrement à tous ceux qui fréquentent mes salons. Vous n’avez pas idée de ce qu’il y a de mufles, ici, ce soir… Allez, messieurs, frottez, trottez mes parquets.

Soudain, le pauvre Jacques fut saisi d’un ennui immense. Ce gros monsieur vulgaire, ces jeunes hommes stupides, ces femmes décolletées, et sur eux tous cette lumière égale, indifférente et transformatrice, tout cela lui parut le décor le moins fait pour y traîner un ennui d’amour. Il aurait voulu trouver une place où rêver solitaire, mais comment ?

Autour de lui s’agitait un peuple en délire. Les valseurs tournaient avec une rapidité folle et un air égaré. Il ne sut inventer autre chose que se mêler à leur agitation et fit danser sans lui adresser la parole, une jeune fille aux cheveux châtain clair et qui haletait péniblement pour le suivre dans ses pirouettes. Puis il la conduisit au buffet où il la contempla, impassible, lutter avec une coupe de champagne et un gros baba dont elle eut, enfin, raison. Il recommença le même travail avec une jeune fille brune, une blonde, puis une autre encore, et ainsi de suite jusqu’à douze.

À la douzième jeune fille, il se sentit las et de plus en plus seul. Son bras droit, pour avoir retenu tant de tailles