Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/111

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— Vraiment, oui ! vous n’êtes plus tout-à-fait le même. On devine ces nuances imperceptibles, quand on est soi-même tendu et la chair de la souffrance comme dépouillée…, ou bien, — et c’est le cas aujourd’hui — quand on a l’habitude d’une grande clairvoyance dans l’amitié.

Elle se dérobait, il se retira :

— Puissiez-vous dire vrai, Juliette. Un grand bonheur ! Certes, j’y rêve chaque jour, et d’autant plus que je n’ai souvenir d’avoir vécu que parmi le déroulement d’une multitude de mesquines contrariétés. Un grand bonheur pour équilibrer tout ce passé ! Priez pour que je l’obtienne, amie Juliette.

— Ami Jacques est bien égoïste… Et moi ?

— Oh ! vous ! protesta-t-il, si vous n’étiez pas heureuse pendant que je le serais, je ne voudrais point le rester.

Il vint s’asseoir très bas à côté d’elle, sur un petit tabouret. Il avait la tête à la hauteur des genoux de la jeune fille et il la voyait, en se détournant à peine, menue sous l’étoffe du peignoir bleu, toute entière un bijou de grâce et de gentillesse où aurait vécu une âme douloureuse. Il voyait la ligne devinée de ses jambes fines, et surtout son bras délicat, d’une pâleur mate et chaude, si fragile au pli du poignet, et nu jusqu’au coude dans la manche pagode.

Il était content d’être là, content de n’en point bouger, tout à son aise pour penser à son amour, ou l’oublier aussi bien puisqu’à cet instant il pouvait être heureux sans lui.

Être tout à côté d’une jeune fille, seul avec elle, pendant quelques quarts d’heure d’un après-midi, respirer le parfum simple de sa jupe et celui qu’elle met à ses mains, à peine perceptible, être là ! ne penser à rien, n’attendre rien !… les jupes des jeunes filles sont des choses uniques au monde. Aucune femme n’a plus jamais, même si elle en