Page:Francis de Miomandre - Écrit sur de l'eau, 1908.djvu/77

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que tu aies un gilet blanc propre et des escarpins vernis, tout le reste t’est bien égal… Ah ! Seigneur ! comme c’est écœurant, l’ingratitude ! Quand je pense à tout ce que j’ai fait pour toi depuis que tu es à l’école, depuis même ta naissance, oh ! là ! là ! là ! là ! Et tout cela pour que tu ailles danser chez des rastaquouères… Qu’est-ce que tu fais là, planté comme une borne ? Prends donc un tabouret et viens t’asseoir à côté de ton père. Eugène, deux wisky-soda, s’il vous plaît.

Jacques grimpa devant le comptoir, et le garçon, qui ne s’était jamais appelé Eugène, obéit.

— Quelle horreur ! reprit M. de Meillan. Et dire qu’on est obligé de boire çà ! Tu dois aimer cette abomination, toi, Jacques, avec tes manies de décadent et d’anglophile. Au fond, il n’y a que le bourgogne, ou alors le café très bien soigné. Mais tu nous vois d’ici demander du bourgogne dans cette boîte !…

— Et Mazarakis ? demanda Jacques.

— Un homme épatant !… Et de la tenue !… Et des manchettes !… C’est tout à fait un type épatant. Froid, ne s’emballant pas, tout ce qu’il faut pour une affaire aussi sérieuse que celle que je lui ai proposée ce soir.

— Quelle affaire ?

— Tu ne connais pas. Une affaire… C’est difficile à expliquer. Des gisements d’alcool dénaturé que mon ami Rogeard a trouvés dans le Caucase… Je pense livrer le litre à huit sous, et d’une qualité supérieure. Du même coup les concurrences tombent à plat puisque le moins cher des alcools à brûler s’achète treize sous… Tu peux compter un débit de dix mille litres par jour, au bas mot, dès les premiers mois. J’évalue à deux sous seulement le bénéfice net par bouteille, ce qui fait mille francs par jour, soit (les chiffres sont là : on ne peut pas les discuter) trois cents soixante