vivaient. Mais les Cagots, mais les Caqueux, mais les Chuetas, mais les Vaqueros, mais les Oiseliers ne ressemblaient en rien aux races que nous venons de nommer : ils avaient un domicile fixe, ils professaient la même religion que leurs voisins, ils gagnaient leur vie en exerçant des métiers utiles et honorables : d’où vient donc le mépris et l’aversion qu’ils inspiraient ? C’est ce que nous nous sommes proposé de rechercher dans ce livre, destiné à retracer les suites à jamais déplorables d’un préjugé, mais non à raviver des haines qui, si elles ne sont pas encore bien éteintes, ne tarderont pas à l’être.
L’existence et l’état misérable des Cagots, si peu et si mal connus hors des lieux qu’ils habitaient, sont des faits incontestables que l’ignorance seule pourrait vouloir révoquer en doute ; mais leur origine, déjà problématique vers la fin du moyen-âge, s’obscurcit de jour en jour : chaque siècle, en passant, laisse tomber son voile sur elle comme pour la dérober aux regards des races futures. Cette origine, comme nous le verrons tout à l’heure, a fourni matière à nombre de conjectures plus ou moins probables, plus ou moins ingénieuses ; ce qu’il y a de certain, c’est que ces êtres, dégradés par l’opinion et portant sur eux je ne sais quel sceau de malédiction, étaient bannis, repoussés de partout comme des pestiférés dont on redoutait le contact et la vue. Ils étaient sans nom, ou, s’ils en avaient un, on affectait de l’ignorer pour ne les désigner que par la qualification humiliante de crestiaa ou de cagot. Leurs maisons, disons mieux, leurs huttes, s’élevaient à l’ombre des clochers et des donjons à quelque distance des villages, où ils ne se rendaient que pour gagner leur salaire comme charpentiers ou couvreurs, et pour assister à l’office divin à l’église paroissiale. Ils n’y pouvaient entrer que par une petite porte qui leur était exclusivement réservée ; ils prenaient de l’eau bénite