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THÉOPHRASTE.


n’étaient pas sans originalité, ou à l’usage des auteurs comiques (l’auteur eut, dit-on, Ménandre pour disciple), ou une analyse en prose des portraits tant de fois tracés par les comiques contemporains ; soit qu’on y reconnaisse le fragment de quelque traité de morale, ces trente pages, souvent mutilées et obscures, ne donnent pas une idée exacte de l’exquise perfection de style dont les anciens ont parlé. Divers fragments, épars dans Stobée et les compilateurs, offrent, comme les grands Traités sur les plantes, le caractère d’une simplicité rapide et correcte ; mais il y manque cette vigueur de trait, ce sublime de pensée, qui relèvent souvent, même dans les sujets les plus arides, la sécheresse du style d’Aristote. Comme philosophe, Théophraste n’est guère moins difficile à juger sur ce qui nous reste de ses ouvrages, et nous regrettons que ces débris insuffisants, mais nombreux encore, n’aient pas été jusqu’ici réunis et étudiés avec toute l’attention qu’appelait le grand nom de leur auteur. Les Caractères, composés vraisemblablement vers l’an 308 ou 307, attestent une observation malicieuse et fine du cœur humain. On y a remarqué l’absence de tout caractère honnête, et l’on s’est trop hâté de voir là une règle même de ce genre d’écrit, en s’appuyant sur un texte d’Hermogène (des Formes du discours, liv. ii, c. 2), qui est loin d’autoriser une telle conclusion. On y a noté aussi l’absence de tout caractère de femme, comme un signe de l’indifférence ou du mépris des philosophes anciens pour cette moitié de l’espèce humaine ; on oubliait que les poëtes comiques, surtout ceux de la nouvelle comédie, qui sont bien, eux aussi, des moralistes à leur manière, représentaient mainte fois sur la scène la mère, la jeune fille, la courtisane, et que rien ne manquait à leurs peintures d’une société élégante et corrompue ; on oubliait que, sans s’être spécialement occupé des femmes dans sa Morale, Aristote y a pourtant semé plusieurs belles observations sur l’amour maternel et sur l’amour conjugal. Quoi qu’il en soit, ce genre des Caractères en prose, dont Aristote offrait déjà quelques exemples et que Théophraste avait animé de couleurs plus vives, garde désormais une place dans la littérature grecque. Sans parler d’un ouvrage composé sous le même titre, mais peut-être sur un sujet différent, par Héraclide de Pont, disciple de Platon et contemporain de Théophraste, on peut citer, comme ayant écrit de semblables Caractères, le péripatéticien Lycon, au IIIe siècle avant J.-C. ; Satyrus, sous Ptolémée Philometor, puis Dion Chrysostome, Plutarque, Lucien, etc. Chez les Romains, Cicéron et Sénèque en offrent quelques exemples. Mais, assurément, le principal honneur de notre philosophe est d’avoir inspiré l’ouvrage immortel de La Bruyère ; l’ingénieuse préface que celui-ci a mise en tête de son ouvrage montre tout ce qu’il devait au modèle grec et comment le génie sait tirer de l’imitation même une nouvelle originalité.

Quant à la morale théorique et pratique de Théophraste, Cicéron lui reproche une sorte de relâchement qui semblerait la rapprocher de celle d’Épicure, et cependant Épicure écrivit contre Théophraste. Il est probable qu’elle se tenait, moins justement que celle d’Aristote, dans ce milieu où réside la vraie sagesse, et que déjà elle accordait aux plaisirs du corps et aux biens de fortune plus d’importance qu’ils n’en