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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/1139

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choquent plus les fortunes particulières que la constitution de l’État même… L’honneur, c’est-à-dire le préjugé de chaque personne et de chaque condition, prend, dans la monarchie, la place de la vertu politique, et la représente partout. »

Ce n’est point Vhonneur qui est le principe des États despotiques : les hommes y étant, tous égaux, on n’y peut se préférer aux autres ; les hommes y étant tous esclaves, on n’y peut se préférer à rien. L’honneur se fait gloire de mépriser la vie, et le despote n’a de force que parce qu’il peut l’ôter. Voilà pourquoi la crainte est le principe du gouvernement despotique. La vertu n’y est point nécessaire, et l’honneur y serait dangereux. L’homme n’y est qu’une créature qui obéit à une créature qui veut.

Pour que l’État garde ses lois et demeure stable, il faut que les citoyens y soient élevés conformément à la nature même du gouvernement qui y est établi. De là la nécessité des lois sur l’éducation dont il est parlé dans le quatrième livre. Elles sont les premières que nous recevons. La principale éducation que les hommes reçoivent, Montesquieu le reconnaît d’ailleurs, ce n’est pas dans les maisons publiques où l’on instruit l’enfance, c’est lorsqu’ils entrent dans le monde. Cela est vrai surtout des monarchies, où l’honneur ne s’apprend que dans le monde. Dans les républiques, il faut que l’éducation, plus qu’ailleurs, inspire l’amour de la patrie. Car « ce n’est point le peuple naissant qui dégénère ; il ne se perd que lorsque les hommes faits sont déjà corrompus. » Dans ce livre, et c’est ce qui en fait l’originalité, Montesquieu a pour but d’indiquer, non ce qui fait l’homme vertueux, mais ce qui fait le bon citoyen, qu’il s’agisse d’une république ou d’une monarchie.

Passant ensuite aux autres lois, il établit d’une manière générale dans le livre V que les lois doivent toutes être relatives au principe du gouvernement. Dans le suivant, il indique les conséquences des principes des divers gouvernements, par rapport à la simplicité des lois civiles et criminelles, la forme des jugements et l’établissement des peines. 11 déploie dans ces deux livres, sur mille points très-importants, une justesse et une étendue de pensée qui saisit d’admiration. Dans le livre VII, il montre les conséquences des différents principes des trois gouvernements, par rapport aux lois somptuaires, au luxe et à la condition des femmes. Il énonce, sur le premier point, des idées trop étroites, mais supérieures néanmoins aux vieilles théories contre le luxe. On sait qu’il a fallu les merveilles de l’industrie moderne pour réhabiliter l’usage des objets de luxe dans l’esprit de beaucoup de gens. Comme conclusion des recherches précédentes, le livre VIII est consacré à l’examen des causes et des remèdes de la corruption des principes des trois gouvernements. Ici reparaît avec force et avec un certain éclat l’esprit de modération de Montesquieu. « Le principe de la démocratie se corrompt, dit-il, non-seulement lorsqu’on perd l’esprit d’égalité, mais encore quand on prend l’esprit d’égalité extrême, et que chacun veut être égal à ceux qu’il choisit pour lui commander. » Il développe cette thèse et fait sentir admirablement la ligne qui sépare la liberté de la licence, la démocratie de la démagogie. Il montre à merveille que ce qui perd la monarchie, c’est l’affaiblissement des pouvoirs intermédiaires, affaiblissement qui conduit presque toujours à un gouvernement radical et absolu, tantôt monarchique et tantôt démocratique et démagogique. Quant au gouvernement despotique, son principe, dit Montesquieu, se corrompt sans cesse, parce qu’il est corrompu par sa nature. Comme on retrouve dans cette réflexion, aussi amère que méprisante, le dédain de l’homme qui a donné (livre V, ch. xm) du despotisme cette définition si éloquemment laconique : « Quand les sauvages de la Louisiane veulent avoir du fruit, ils coupent l’arbre au pied, et cueillent Je fruit. Voilà le gouvernement despotique. »

Passant ensuite à un autre ordre d’idées, Montesquieu s’occupe, dans le livre IX, des lois dans le rapport qu’elles ont avec la force défensive, et, dans le livre X, des lois dans le rapport qu’elles ont avec la force offensive. Il traite là, en passant, du droit de la guerre et du droit de conquête, et s’élève avec force contre le prétendu droit de réduire les vaincus en servitude. Le chapitre xiv, consacré à Alexandre, est un des plus beaux et des plus entraînants qu’il ait écrits.

Les livres XI et XII ont pour objet les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, et les lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec le citoyen.

Tout le monde sait les discussions auxquelles a donné lieu la définition de la liberté politique. Voici celle que propose Montesquieu (liv. XI, ch. m et iv) : « La liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un État, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à pouvoir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être point contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir. La liberté est le droit de faire tout ce que les lois permettent ; et si un citoyen pouvait faire ce qu’elles défendent, il n’aurait plus de liberté, parce que les autres auraient tous de même ce pouvoir. » — « La démocratie et l’aristocratie ne sont point des États libres par leur nature. La liberté politique ne se trouve que dans les gouvernements modérés, mais elle n’est pas toujours dans les États modérés : elle n’y est que lorsqu’on n’abuse pas du pouvoir ; mais c’est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser : il va jusqu’à ce qu’il trouve des limiLes. Qui le dirait ? la vertu même a besoin de limites ! » Au chapitre I er du livre XII, il dit que le citoyen pourra être libre et la constitution ne l’être pas, et il montre, au chapitre n, que c’est de la bonté des lois criminelles que dépend principalement la liberté du citoyen. Le livre XIII, qui est comme un appendice des deux précédents, traite des rapports que la levée des tributs et la grandeur des revenus publics ont avec la liberté. Le livre XIV a pour objet la célèbre question des lois dans le rapport qu’elles ont avec la nature du climat. Malgré le ton absolu de quelques phrases, nous n’avons pas besoin de dire qu’ici Montesquieu ne donne nullement lieu au reproche de matérialisme qui lui fut adressé par quelques critiques plus passionnés et plus malveillants qu’éclairés. Il continue dans les livres XV, XVI, XVII et XVIII, de discuter l’influence du climat et du terrain sur les lois qui régissent l’esclavage civil, l’esclavage domestique et la servitude politique. Le chapitre v du livre XV, sur l’esclavage des nègres, est un chef-d’œuvre d’ironie : il est impossible de stigmatiser avec une indignation plus amère et plus dédaigneuse la doctrine des partisans de l’esclavage des noirs.

Les livres XIX, XX, XXI, XXII et XXIII traitent des lois dans le rapport qu’elles ont avec les principes qui forment l’esprit général, les