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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/1145

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MORA
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les voies de la nature, et embrassant, sous des noms divers, non-seulement le genre humain, mais tout ce qui sent, tout ce qui souffre, tout ce qui vit, et même les choses qui s’adressent à la seule pensée, comme le bien, le beau, le vrai, il rentre, en quelque sorte, dans sa source.

Nous nous sommes occupés ailleurs (voy. Amour) de la nature de ce principe et des différents aspects sous lesquels il se présente dans la vie humaine. Nous ne le considérerons ici que dans l’ordre moral, ou dans ses rapports avec le devoir et la liberté.

Le devoir étant la condition suprême de l’humanité, la première loi d’un être intelligent et libre, l’amour ne peut, en aucun cas, le contredire, et il faut qu’il garde le même respect pour le droit qui en découle nécessairement. Ainsi, rien ne peut excuser les bûchers allumés au nom de la charité. Rien de plus coupable à la fois et de plus insensé que de vouloir forcer nos semblables à être heureux dans ce monde à notre manière, ou à se sauver dans l’autre par le chemin que nous leur traçons. Mais l’amour va plus loin que le devoir et constitue pour notre âme un degré de perfection plus élevé. Quand le devoir a parlé, on est obligé d’obéir, et agir autrement c’est déchoir, c’est se rendre coupable envers soi-même ou injuste envers les autres. On n’est ni l’un ni l’autre quand on refuse de céder aux inspirations de l’amour, quand on ne s’élève pas jusqu’au dévouement et au sacrifice, quand on ne veut être, par un mouvement spontané, ni un martyr, ni un héros. Il est vrai que le devoir aussi a son héroïsme. Le soldat qui donne sa vie pour sauver son drapeau, le magistrat qui aime mieux mourir dans les supplices que de signer une injuste sentence, sont certainement dignes de toute notre admiration : mais ils seraient coupables s’ils agissaient autrement. Gardons-nous cependant de conclure de là que le devoir tout seul suffit à la vertu, et que l’amour en est en quelque sorte le luxe. Le premier n’est guère praticable sans le second, si on les considère l’un et l’autre dans les relations de la société et dans l’humanité en général. En effet, le devoir suppose le complet usage de notre intelligence et de notre liberté : mais comment arriver là sans le secours, sans le dévouement, sans l’amour de nos semblables, sans la sollicitude prévoyante de la société tout entière ? L’immense majorité des hommes ne serait-elle pas condamnée à s’abrutir sous le poids des nécessités physiques, et à perdre au sein de la misère jusqu’au sentiment moral, si la société n’allait au-devant de ce malheur par de bienfaisantes institutions, les unes ayant pour but de soulager et les autres d’instruire ? De plus, il nous est impossible de remplir nos devoirs, si l’on ne respecte pas nos droits, si l’on ne s’abstient envers nous de toute violence capable de comprimer et d’étouffer nos facultés. Or, comment espérer que nos droits seront respectés s’ils ne sont pas connus, si l’ignorance et les brutales passions peuvent s’étendre à leur aise, c’est-à-dire si nous sommes indifférents les uns aux autres ? Enfin, si l’on songe aux penchants, aux puissants instincts, aux passions qui nous entraînent vers le mal, on comprend que la moralité humaine serait fort compromise s’il n’existait aussi en nous une inclination qui nous porte au bien, un sentiment qui nous fait un besoin de la vertu et qui change en jouissances les sacrifices qu’elle impose. Or, tel est précisément un des effets de l’amour. L’amour, en môme temps qu’il éclaire notre esprit sur la véritable portée de la loi morale, est donc aussi un secours offert à notre liberté contre les mouvements qui l’égarent, ou ce que dans le langage de la théologie, on appellerait une grâce. Cette grâce, que Dieu accorde sans distinction à tous les hommes, n’est nullement incompatible avec le libre arbitre ; elle est au contraire la liberté même, mêlée dans une juste mesure avec l’inspiration, la liberté sous la forme du sentiment, et affranchie de tout effort : car il est à remarquer qu’il n’y a pas d’amour sans élection, ou sans un mouvement volontaire qui porte notre âme à la rencontre de l’objet aimé.

II. A présent que nous connaissons les principes généraux de la morale, nous allons montrer comment ils sont applicables aux actions et aux institutions humaines, comment on en fait découler toute la théorie de nos devoirs et de nos droits, toutes les règles particulières qui doivent diriger notre vie. Il serait impossible et superflu tout à la fois d’exposer ici en détail chacune de ces règles : nous indiquerons seulement comment il faut les classer, comment elles s’enchaînent les unes aux autres et se rattachent toutes ensemble aux principes supérieurs que l’observation vient de nous fournir. Nous aurons ainsi tout le cadre de la morale, et c’est à ce cadre que doit se borner notre tâche.

La morale se divise nécessairement en quatre parties ayant pour objet les devoirs que nous avons à remplir envers nous-mêmes et les droits qui en découlent naturellement ; les devoirs et les droits, en un mot, les rapports sur lesquels repose la famille ; ceux qui forment ou qui devraient former la base commune et invariable de toute société civile ; enfin ceux que la similitude de nos facultés et, par conséquent, l’unité de notre destinée et de notre tâche, établissent entre les peuples comme entre les individus, c’est-à-dire les lois sur lesquelles se fonde la société universelle du genre humain. C’est, en effet, dans ces quatre sphères qu’il faut chercher toutes les actions humaines qui tombent sous l’empire de la législation morale. Il existe bien au-dessous de nous, considérés comme individus, et au-dessus du genre humain, deux autres objets de notre activité, deux infinis vers lesquels nos facultés se dirigent constamment comme vers les deux pôles opposés de l’existence : l’un, c’est la nature ; l’autre, c’est Dieu : mais dans la nature il n’y a pas de liberté, par conséquent pas de droits, pas d’autres devoirs que ceux que nous avons à remplir envers nous-mêmes ou envers nos semblables. Les êtres animés ou inanimés qui nous entourent ne s’appartenant pas à eux-mêmes, nous appartiennent nécessairement, et nous pouvons en disposer comme il nous plaît, en user et en abuser, sous la seule condition de ne pas manquer aux lois de notre propre espèce. Quant aux rapports de l’homme avec Dieu, ils appartiennent à la religion et non à la morale ; ils rentrent dans la spéculation métaphysique ou dans la foi, selon qu’on se contente des lumières de la raison ou qu’on admet des dogmes révélés. Sans doute, la religion et la morale sont étroitement unies l’une à l’autre ; mais, comme le prouve l’expérience de l’histoire, il y a le plus grand danger à les confondre : car les hommes ne peuvent exiger les uns des autres que Le respect de leurs droits, que la pratique de leurs mutuels devoirs. Telle est précisément la limite où se renferme l’autorité publique quand la morale et la religion sont distinctes, quand le principe de la religion s’appuie sur lui-même et non sur une autorité étrangère, quand l’État est indépendant de l’Église. Supposez le contraire, ou faites découler le droit de la foi, prenez une certaine