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Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/1150

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MORA
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morale, dans la septième édition de l'Encyclopédie britannique, traduite en français, par M. Poret, in-8, Paris, 1834 ; — Jouffroy, Cours de droit naturel, 3 vol. in-8, Paris, 1834-42 ; — Cousin, Cours de l’histoire de la philosophie moderne, 5 vol. in-12, Paris, 1846 ; — P. Janet, Histoire de la philosophie morale et politique, Paris, 1858,2 vol. in-8 ; — Denis, Histoire des théories et des idées morales dans l’antiquité, Paris, 1836,2 vol. in-8 ; — A. Garnier, la Morale dans l’antiquité, Paris, 1865, in-12 ; — L. Ménard, la Morale avant les philosophes, Paris, 1860. in-8.

MORE (Henri), en latin Morus, naquit à Grantham, dans le Lincolnshire, le 12 octobre 1614. Les principales circonstances de sa vie ont été retracées par lui-même d’une manière intéressante, quoique non sans vanité, dans la préface de l’édition latine de ses Œuvres (Præfatio generalissima). Il appartenait à une famille de calvinistes rigides, partisans décidés du dogme de la prédestination ; mais il avait à peine atteint l’âge de quatorze ans, que cette sombre croyance révolta son âme, et les menaces dont on usa envers lui pour réprimer ses doutes ne servirent qu’à les accroître. Dès ce moment sa vocation fut décidée : son esprit méditatif se porta avec ardeur sur les questions les plus difficiles de la philosophie et de la théologie. Au collège d’Eton, où sa famille l’avait envoyé pour étudier les langues anciennes, pendant que ses jeunes condisciples se livraient aux récréations de leur âge, il se promenait à l’écart, défendant en lui-même la liberté humaine contre le fatalisme de Calvin, ou cherchant dans la nature les traces d’une divine providence. Cette résistance, opposée par le cœur et la raison d’un enfant à un dogme enseigné au nom de la foi, lui démontre que l’homme ne tient pas tout ce qu’il sait de l’éducation et des sens, qu’il y a en lui un sentiment naturel de la justice et une idée innée de Dieu. Entré à l’université de Cambridge, et désormais libre dans le choix de ses occupations, le jeune More s’appliqua, avec une égale passion, à la philosophie et aux sciences naturelles. Aristote et les philosophes scolastiques, avec Cardan et Scaliger, furent ses premiers maîtres. Mais son esprit ne pouvant s’accommoder ni de la sévère discipline du premier, ni de la sécheresse des autres ; ayant observé, de plus, que les disputes de l’école sur le principe d’individuation l’avaient conduit à de notables absurdités, comme de douter de sa conscience et de son existence personnelle, il entra dans une voie tout opposée : il se mit à étudier Platon, Marsile Ficin, Plotin, le prétendu Mercure Trismégiste et la plupart des théologiens mystiques. Le petit écrit connu sous le titre de Théologie germanique le captiva particulièrement, et quelques années plus tard il crut remonter à la source de toutes ces doctrines en portant ses recherches sur la kabbale. Ce commerce avec le passé et avec des esprits d’un ordre si exclusif ne l’empêcha pas de se mêler comme acteur et comme spectateur au mouvement philosophique de son temps. 11 entretient une correspondance avec Descartes ; il poursuit dans tous ses ouvrages le matérialisme de Hobbes ; il dénonce les erreurs et les dangers de la doctrine de Spinoza. C’est en 1647 qu’il commença sa carrière d’écrivain par la publication de plusieurs poèmes philosophiques, dont la composition remonte aux années de sa première jeunesse. Depuis ce moment jusqu’en 1680, c’est-à-dire pendant une période de plus de trente ans, pas une année De s’est écoulée qui ne vît éclore quelque production de sa plume infatigable. Au reste, sa vie ne nous offre pas d’autres événements que ses pensées et ses travaux. Il la passa tout entière dans l’université où il avait terminé ses études. C’est en vain qu’on lui offrit les plus hautes dignités de l’Église anglicane ; il ne fut et ne voulut jamais être autre chose que fellow au collège du Christ, où il mourut le 1er septembre 1687. Henri More appartient par le fond de ses idées et, si l’on peut parler ainsi, par la physionomie générale de son esprit, à cette école platonicienne d’Angleterre dont Cudworth est, sans contredit, le plus illustre représentant. Ainsi que l’auteur du Système intellectuel de l’univers, son contemporain et son collègue au collège du Christ, il cherche une doctrine où puissent se rencontrer sur un même fond spiritualiste la raison et le dogme chrétien, la tradition et le libre examen. Mais, plus érudit que philosophe, d’une érudition plus recherchée que profonde, et par-dessus tout d’une imagination très-aventureuse, il a exagéré les différents principes qu’il devait associer ensemble, et, en les exagérant ou en les faussant, il les a rendus plus inconciliables. Ainsi il pousse l’esprit religieux jusqu’au mysticisme : encore n’est-ce pas le vrai, ou celui qui jaillit naturellement du fond de l’âme, qui a ses racines éternelles dans l’amour, dans l’espérance, dans le commerce ineffable du Créateur et de la créature, mais un mysticisme d’emprunt, et, si on osait l’appeler ainsi, académique, qui n’est qu’une froide imitation des rêveries de la renaissance copiées elles-mêmes sur l’école d’Alexandrie. Henri More est si peu un véritable mystique, qu’il a écrit en 1656, trois ans après avoir publié son commentaire kabbalistique sur la Genèse (Conjectura cabbalistica), un traité complet sur la nature, les causes, les formes et la guérison de l’enthousiasme (Enthusiasmus triumphatus, sive de natura, causis, generibus et curatione enthusiasmi brevis dissertatio). Dans ce curieux ouvrage, il parle de l’enthousiasme comme ferait un médecin de quelque maladie du corps ; et, ce qui est plus remarquable, c’est du corps qu’il le fait dépendre en grande partie. Les principaux phénomènes sur lesquels se fonde le mysticisme, les visions, les extases, l’amour divin lui-même, ne sont à ses yeux que les effets d’une imagination en délire ou d’un tempérament mélancolique. En même temps il accueille avec une rare crédulité tous les contes superstitieux répandus dans le peuple, tout ce qui peut faire croire, nous ne dirons pas à un monde spirituel, mais à un monde surnaturel, comme celui dont Jamblique nous a laissé la description dans les Mystères des Égyptiens. D’un autre côté, non content d’admettre l’indépendance et l’efficacité de la raison dans les questions de morale et de métaphysique, non content de démontrer, par les seuls arguments qu’elle est appelée à fournir, l’existence de Dieu, l’immortalité et la spiritualité de l’âme, la liberté humaine, le principe du devoir, il pousse la hardiesse philosophique jusqu’à introduire le libre examen dans la sphère même de la théologie. « Je ne vois rien, dit-il, dans la religion chrétienne qui ne soit conforme à la raison : Christianam religionem per omnia rationabilem existimo. » (Opera philosoph., t. II. præfatio generaliss.) La raison, c’est le grand prêtre éternel, le Verbe divin qui s’est incarné dans l’humanité. Repousser son contrôle des objets de la foi, c’est effacer la différence qui sépare le christianisme des cultes erronés forgés par l’imagination humaine ; de même que, dans le monde physique, si l’on ôte la lumière, tous les objets disparais-