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qui est déjà plus parfaite ; et ensuite une autre nécessité, conséquence de l’identification de l’âme avec Dieu et du néant des passions. Tant que nous sommes dans le multiple, et par conséquent sujets à faillir, et agités alternativement par la concupiscence et par l’amour pur, la liberté vaut mieux que la nécessité ; mais lorsque, par l’habitude de la vertu, par la prière et par la purification, nous nous sommes élevés à l’extase et à l’unité, ni la possibilité de faillir, ni celle de choisir ne subsistent, et il n’y a plus de place pour la liberté. Elle nous manque au degré inférieur par l’incapacité de choisir, et au degré supérieur pur l’incapacité de faillir. Ici elle est un bien, là un mal. La liberté a le même sort que la raison et la science. Elle n’est ni niée, ni condamnée ; elle est subordonnée. Les alexandrins sont fidèles au caractère général de leur mysticisme dans la morale comme dans la spéculation métaphysique.

Dans les jugements exprimés sur la doctrine morale de Proclus, on doit distinguer avec soin le fait, qui est vrai, et l’appréciation du fait, qui est erronée. L’extase commence par gêner la liberté, et poussée au plus haut degré de l’exaltation, elle la suspend ; de même, dans l’ordre intellectuel, elle trouble l’usage de la raison, et engendre une sorte de folie : folie lumineuse, mais dont l’incurable malheur est de ne pas être maîtresse d’elle-même. L’erreur de Proclus est de regarder comme un état de perfection supérieure cette exaltation extatique, qui nous arrache à la raison et à la liberté. L’homme peut et doit se perfectionner, dans sa condition humaine d’être raisonnable et libre ; mais il ne saurait en sortir, et s’il en sortait, ce serait pour déchoir.

L’habitude de la vertu, qui rend facile l’amour du bien, impossible l’amour du mal, la délibération inutile, le sacrifice aisé et naturel, quoique différente essentiellement de l’extase, constitue un état de perfection morale supérieur à la vertu difficile, qui n’est que le résultat d’une lutte victorieuse. L’erreur de tous les mystiques a été de se tromper sur l’origine de cette habitude d’aimer le bien et de le vouloir. Ils ont attribué à la méditation et à la prière ce qui est surtout le résultat de la volonté et de la pratique. Ils ne se sont pas moins trompés sur le caractère de cet état de perfection humaine relative. L’effort étant le signe ordinaire de la volonté, ils ont cru que la volonté périssait au moment de son triomphe, c’est-à-dire quand, en supprimant la résistance, elle a du même coup supprime l’effort ; et la volonté étant la forme la plus complète, et en quelque sorte la plus loppée, ou, si l’on veut, la moins enveloppée de l’acte libre, ils ont cru que, là où il n’y avait ni choix, ni délibération, ni par conséquent volonté, il n’y avait pas liberté.

Les conséquences morales sont évidentes. Le mysticisme, en subordonnant la raison, met au-dessus d’elle, non pas Dieu, comme il le croit, mais le sentiment individuel sans aucune règle ; et en préférant la nécessité extatique à la liberté, il va à l’inaction.

En théodicée, les conséquences ne sont pas moins fatales. Proclus démontre la liberté de Dieu et la providence avec force ; mais il place l’une et l’autre dans la seconde hypostase. Dans l'unité, où il n’y a qu’un amour et qu’un concept, si même on peut employer ces mots sans contradiction, il n’y a ni choix, ni volonté ; ni liberté ; et l’un n’en est que plus parfait. De telle sorte que la providence existe, mais comme une supériorité relative et en quelque sorte idéale sur le reste des hypostases ; car le père, qui est l’un, est étranger à la volonté et à la liberté. Ainsi le panthéisme subsiste, parce qu’après avoir vu la grandeur de la providence, Proclus n’a pas compris qu’il n’y avait rien au-dessus.

Parmi les ouvrages de Proclus qui nous sont parvenus, quelques-uns (de Providentia et de fato et eo quod in nobis) ne nous ont été conservés que dans une traduction latine du moyen âge, par Guillaume de Morbeck, archevêque de Corinthe.

M. Cousin a donné deux éditions des œuvres de Proclus : Procli, philosophi platonici, opera, Paris, 1819-1827, 6 vol. in-8 ; — Procli opera omnia, Paris, 1864, in-4.

Marini vita Procli, gr. et lat., éd. J.-A. Fabricius, Hambourg, 1700, in-4 ; éd. Boissonade, Leipzig, 1814, in-8 ; — Lévesque de Burigny, Vie de Proclus, dans les Mémoires de l’Acad. des inscr., t. XXI.

Consultez : Berger, Proclus, exposition de sa doctrine. Paris, 1840, in-8 ; — J. Simon, du Commentaire de Proclus sur le Timée de Platon, Paris, 1839, in-8 ; Histoire de l’école d’Alexandrie, t. II ; — Vacherot, Histoire critique de l’école d’Alexandrie, t. III ; — V. Cousin, Fragments de philosophie ancienne et Histoire générale de la philosophie. J. S.

PRODICUS de Céos florissait à la fin du Ve siècle avant notre ère. Formé à l’école de Protagoras, admiré de ses concitoyens que charmait sa vive éloquence, il reçut d’eux l’honorable mission d’aller à Athènes défendre leurs intérêts. Prodicus vit là surtout une occasion de fortune. Il parla en public, éblouit la jeunesse athénienne, exigea bientôt de ses auditeurs un salaire, et fit de l’enseignement une industrie et un métier. Il avait par toute la Grèce des courtiers chargés de lui amener les enfants des familles riches, et il n’en spéculait pas moins sur ceux des familles pauvres. Ses leçons étaient à la portée de toutes les fortunes, comme certaines denrées des marchands sans conscience. Il en faisait de toute qualité, et par conséquent de tout prix, sur un même sujet : pour les pauvres, des leçons à une drachme ; pour les riches, à cinquante drachmes par tête. Dans Platon, Socrate dit plaisamment qu’il pourrait peut-être expliquer la nature des noms s’il avait entendu les leçons de Prodicus à cinquante drachmes par tête, mais qu’il n’en peut rien dire, n’ayant reçu que la leçon à une drachme. Cet homme, âpre au gain, qui dépensait en plaisirs les sommes immenses qu’il gagnait sans beaucoup de peine, déclamait pourtant fort bien sur la vertu. Toute l’antiquité cite de lui lebel apologue d’Hercule adolescent qui, sollicité par deux divinités contraires, la Vertu et la Volupté, se donne à la première et parvient ainsi à l’immortalité.

Se piquant de parler sur toutes sortes de matière et sans préparation, Prodicus avait été conduit à une classification des lieux communs si célèbres dans les écoles des rhéteurs. Esprit subtil, il s’était étudié à distinguer les nuances dans la signification des mots : de là le traité des Synonymes et celui de la Rhétorique. Il ne nous en reste absolument rien.

Prodicus enseigna que les dieux étaient un produit de notre reconnaissance, qui divinisait les objets qui nous sont utiles. C’était en réalité les nier. Déjà Aristophane avait, dans les Nuées et dans les Oiseaux, jeté le ridicule sur Prodicus et sur ses doctrines. Traduit en justice et convaincu d’athéisme, il fut condamné, comme Socrate, à boire la ciguë. Déjà l’opinion publique les avait confondus pendant leur vie. La multitude disait : « Plus sage que Prodicus. » La différence ne commence que pour la postérité.

Les principaux auteurs à consulter sont les