lorsqu’il se vit attaqué dans son honneur par une accusation flétrissante, et précipité du faite des grandeurs par le coup le plus inattendu. Pour se conserver les bonnes grâces du roi, ainsi que celles de Buckingham, il avait prêté son concours à des mesures vexatoires, et avait, par une complaisance servile, appose le sceau royal à d’injustes concessions de privilèges et de monopoles, qui pouvaient remplir les coffres du roi et de son favori, mais qui irritaient la nation. En outre, le grand chancelier, peu scrupuleux sur les moyens de s’enrichir ou d’enrichir les siens, avait, avec une coupable facilité, accepté lui-même des plaideurs, ou laissé recevoir par ses gens, des dons qu’on pouvait regarder comme des arrhes d’iniquité.
Au commencement de l’an 1621, un nouveau parlement, élu sous l’influence du mécontentement universel, résolut de mettre un terme à tous ces abus. Bacon, dénoncé à la Chambre des communes par des plaideurs déçus, fut accusé par celle-ci, devant la Chambre des lords, de corruption et de vénalité. Sur le conseil du roi, qui craignait lui-même d’être compromis si une discussion s’engageait, Bacon renonça à toute défense, et s’avoua humblement coupable. Il fut, par une sentence du 3 mai 1621, condamné à perdre les sceaux, à payer une amende de 40 000 livres sterling, et a être enfermé à la tour de Londres.
Sans aucun doute, le chancelier n’était pas innocent ; mais la haine et l’envie furent pour beaucoup dons sa condamnation : longtemps, ses prédécesseurs avaient reçu des présents sans être inquiétés ; il est d’ailleurs certain que Bacon ne fut, pour ainsi dire, qu’une victime expiatoire ; ce ne fut pas, comme il le dit lui-même dans une de ses lettres, sur les plus grands coupables que tombèrent les ruines de Silo. Le roi. pour lequel il s’était dévoué, ne tarda pas à lui rendre sa liberté et à le décharger des peines portées contre lui : mais il n’osa le rappeler au pouvoir.
Rentré aans la vie privée, Bacon se remit avec plus d’ardeur que jamais à ses études, se félicitant de pouvoir enfin suivre librement l’impulsion de son génie. Après avoir terminé une histoire de Henri VII, qu’il n’avait rédigée que pour plaire au roi Jacques, issu de ce prince, il revint à sa grande entreprise de la restauration des sciences. Sentant que pour travailler efficacement à l’avancement de la philosophie, il devait donner l’exemple comme il avait donné le précepte, il se mit lui-même à l’œuvre, et s’imposa l’obligation de traiter chaque mois quelqu’un des sujets qui lui semblaient avoir le plus d’importance ; c’est ainsi qu’il rédigea, dès 1622, Y Histoire des Vents, Y Histoire de la Vie et de la Mort, et, dans les années suivantes, Yllistoire de la Densité et de la Rareté ; de la Pesanteur et de la Légèreté ; Y Histoire du Son, et qu’il entreprit des recherches sur la chaleur, la lumière, le magnétisme, etc. Dans ces essais, qui ne sont guère que des tables d’observations, on trouve quelques expériences curieuses, et le germe de précieuses découvertes. En même temps, il recueillait et consignait par écrit, à mesure que l’occasion les lui présentait, les faits de toute espèce qui pouvaient avoir quelque intérêt pour la science : c’est ce qui compose le recueil que William Rawley, son secrétaire, publia après sa mort sous le titre de Sylva sylvarum, sive Historia naturalis (la Foret des forêts, ou Histoire naturelle) ; on y trouve mille observations distribuées en dix centuries. A la même époque, il révisait, étendait et mettait en latin, avec le secours d’habiles collaborateurs, parmi lesquels on remarque
Hobbes, Herbert et Ben-Johnson, son traité de VAvancement des sciences ; ses Essais moraux, son Histoire de Henri VII, et quelques opuscules.
Accablé par tant de travaux, et déjà affaibli par une maladie épidémique qui avait régné dans Londres en 1625, Bacon ne tarda pas à succomber. Au commencement de 1626, il fut saisi d’un mal subit pendant qu’il faisait des expériences en plein air. Il expira le 9 avril 1626, âgé de soixante-six ans. Il avait été marié, mais n’eut pas d’enfants. Dans son testament, qui offre plusieurs dispositions remarquables, il lègue sa mémoire aux discours des hommes charitables, aux nations étrangères, et aux âges futurs. Il créait, par le même acte, diverses chaires pour l’enseignement des sciences naturelles ; mais le peu de fortune qu’il laissa ne permit pas de remplir ses intentions.
Pour apprécier complètement Fr. Bacon, il faudrait distinguer en lui l’homme, le jurisconsulte, le politique, l’orateur, l’historien, l’écrivain et le philosophe. Devant surtout ici nous occuper du philosophe, nous nous bornerons à dire que, comme jurisconsulte, Bacon a laissé des travaux qui lui assignent le rang le plus éminent, et que, portant partout son génie rénovateur, il voulut réformer et refondre les lois de l’Angleterre ; que, comme politique, il montra de la souplesse et de l’habileté, qu’il accueillit toutes les idées grandes, et concourut de tout son pouvoir à une mesure de laquelle date la puissance de la Grande-Bretagne, l’union de l’Ecosse avec l’Angleterre ; qu’en écrivant son Histoire de Henri VII, il aonna à son pays le premier ouvrage qui mérite le nom d’histoire ; que, comme orateur et écrivain, il n’eut point d’égal en son siècle ; qu’à la force, à la profondeur, il unit l’éclat, et qu’il n’a d’autre défaut que de prodiguer les images et les métaphores ; que, comme homme, il nous apprend, par son ingratitude, par ses lâches complaisances et ses
Erévarications, jusqu’où peut aller la faiblesse umaine, et nous offre un affligeant exemple du divorce trop fréquent des qualités du cœur et des dons de l’esprit ; ajoutons cependant que, au témoignage de ses contemporains, il avait toutes les qualités qui rendent un homme aimable ; il était affable, bon jusqu’à la faiblesse, généreux jusqu’à la prodigalité.
Comme philosophe ; Fr. Bacon a attaché son nom à une grande révolution. Frappé de l’état déplorable dans lequel se trouvaient la plupart des sciences, il reconnut qu’il fallait reprendre l’édifice par la base, et il tenta d’accomplir cette œuvre immense. C’est là que tendent tous ses travaux scientifiques, sous quelque titre et à quelque époque qu’ils aient été publiés. Tous ne sont que des fragments de Ylnstauratio magna, vaste ouvrage divisé en six parties, dont nous allons tracer le plan.
I. L’auteur sent avant tout le besoin de réhabiliter dans l’opinion publique les sciences qui étaient tombées dans un grand discrédit, de reconnaître les vices de la philosophie du temps pour les corriger, de signaler les lacunes afin de les combler. C’est là l’objet d’une première partie de Ylnstauratio ; on la trouve exécutée dans le traité de Dignitate et Augmentis scientiarum, qui est comme l’introduction et le vestibule de tout l’édifice. II. Le mal connu, il fallait en indiquer le remède : ce remède se trouve dans l’emploi d’une meilleure méthode, dans la substitution de l’observation à l’hypothèse, de l’induction au syllogisme. Une seconde partie de Ylnstauratio est consacrée à l’exposition de la méthode nouvelle : c’est le Novum Organum.* III