Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/178

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existence, on a le droit de penser que l’auteur, ou plutôt le restaurateur de cette doctrine, dont le berceau est dans l’Inde brahmanique, est plus près du système de l’émanation que de la créa­tion ex nihilo. Il ne serait même pas difficile de trouver dans la Philosophie du Christianisme (t. II, p. 276) des passages où le dogme de la création est formellement répudié.

Aussi le clergé catholique a-t-il accueilli avec défiance une philosophie qui contenait de telles propositions et qui, sous prétexte d’interpréter l’Écriture, la livrait à la discrétion de l’esprit de système. L’évêque de Strasbourg, M. de Trévern, a cru devoir la condamner publiquement dans un écrit qui a pour titre : Avertissement sur l’enseignement de M. Bautain (Strasbourg,

  1. . Une commission ecclésiastique, appelee un peu plus tard à donner son avis sur la même question, justifie la sévérité du prélat. Elle re­proche à l’abbé Bautain « des théories insoute­nables où tout se réduit à un dangereux mysti­cisme qui nous ferait prendre l’illusion de l’ima­gination pour des oracles du Saint-Esprit, et les rêveries d’un esprit malade pour des vérités de la foi (Rapport à Mgr l’évcque de Strasbourg sur les écrits de M. l’abbé Bautain, Stras­bourg. 1838). Obligé de se rétracter, l’abbé Bau­tain l’a fait, dans la préface de sa Philosophie morale, en termes assez équivoques pour laisser subsister le fond de ses opinions.

Aux écrits philosophiques de Bautain qui vien­nent d’être cités et analysés, il faut ajouter sa thèse en médecine : Propositions générales sur la vie, présentées à la Faculté de, médecine de Strasbourg j 1826 ; la Morale de l’Évangile com­parée à la morale des philosophes, in-8, Stras­bourg, 1827. et Paris, 1855 ; Lettre à Mgr de Trévern, in-8, Strasbourg 1838 ; la Conscience, ou la Règle des actions humaines, in-8, Paris, 1860 ; Manuel de Philosophie morale, in-18, Paris,

  1. Sous le titre suivant : la Religion et la Li­berté considérées dans leurs rapports, in-8, Paris, 1848, on a réuni ses conférences à Notre-Dame.

BAYER (Jean), né près d’Épéries, en Hongrie, dans la première moitié du xvie siècle, étudia la philosophie, la théologie et les sciences à Toul, où il ne tarda pas à enseigner. Rappelé dans son payrs pour y diriger une école, il fut ensuite reçu pastèur et en exerça les fonctions. Ennemi de la philosophie d’Aristote, qu’il ne croyait propre qu’à faire naître des discussions sans pouvoir en terminer aucune, il s’appliqua d’une manière particulière à une sorte de physique spéculative, et suivit en partie les doctrines de Coménius. Voulant arriver à une théorie physique de la nature, en prenant surtout Moïse pour guide, Bayer, ainsi que Coménius, admet trois prin­cipes : la matière, l’esprit et la lumière. Par an­tipathie pour la nomenclature d’Aristote, il évite le mot matière, se sert de celui de masse mo­saïque (massa mosaica), et lui reconnaît deux états successifs : celui d’une première création, c’est alors la matière universelle ; celui d’une seconde création, état en vertu duquel elle devient telle ou telle espèce de matière. Le pre­mier de ces états ne dura qu’un jour, et il n’en reste plus rien aujourd’hui. Le second fut l’effet de la création pendant les jours suivants ; il subsiste encore maintenant sous les différentes espèces et les différents genres des choses. Sui­vant que la matière revêt l’un ou l’autre de ces deux états, elle est primordiale ou séminale, native ou adventice, permanente ou passagère. La génération des choses exige l’union de la matière, de l’esprit et de la lumière. L’esprit, qui intervient dans la formation de toutes choses, n’est pas seulement Dieu, mais c’est encore un esprit vital, plastique ou formateur (mosaicus plasmator). Parmi les agents extérieurs, les uns sont des causes efficientes solitaires, c’est-à-dirc assez puissantes pour produire leurs effets par elle-mêmes ; les autres ne sont que des causes concurrentes, incapables d’agir efficacement si elles ne sont pas aidées par d’autres causes. L’es­prit vital tire son origine de l’Esprit saint, qui l’a créé pour qu’il réalisât les idées dans les choses corporelles, en faisant celles-ci à l’image des premières. Cet esprit vital se divise et se sub­divise à l’infini ; ou plutôt il prend des noms divers selon les effets qu’il produit et selon la sphère dans laquelle son action se manifeste. Il donne aux corps la forme et le principe qui les anime ; il donne à l’univers physique le mou­vement et l’harmonie. C’est à lui qu’est due la fermentation, qui est une de ses principales fonctions. Il est le principe actif, et la matière le principe passif. La lumière est le principe aux i liaire ; elle tient une sorte de milieu entre la matière et l’esprit, et son intervention est né­cessaire pour achever l’œuvre de la création. Bayer distingue une lumière primitive ou uni­verselle, et une lumière adventice ou carac­térisée, et en fait consister le mode d’action dans le mouvement, l’agitation, la vibration : ce mou­vement s’accomplit ou à la surface des corps ou à leur centre, deux circonstances qui expliquent le chaud et le froid. Bayer distingue une foule de points de vue dans la lumière, et fait naître à chaque instant de nouvelles entités, telles que la nature dirigeante ou l’idée, principe plastique ou formateur des qualités des choses ; la nature figu­rée (natura sigillata), d’où résultent les caractè­res distinctifs des corps et leurs différentes formes. La forme a cependant une autre raison encore : c’est la configuration de la matière première, ou la concentration des esprits, et le degré sous lequel se montre la lumière (temperamentum lucis). Bayer fait de la plupart des propriétés ou des qualités des choses autant de principes. Ainsi, l’étendue, la limite, la figure, la conti­nuité, la juxtaposition, la situation sont des na tures ou des principes. D’autres propriétés ou natures procèdent de l’esprit : ce sont la vie, la connaissance, le désir, la force, l’effort, l’acte. L’esprit peut revêtir la’substance corporelle de toutes ces propriétés ; d’où il suit que la matière peut penser et vouloir. Ce n’est pas tout encore. La combinaison de ces principes divers donne naissance à d’autres propriétés, qualités ou na­tures. C’est de là que procèdent l’entité par excellence ou l’être, la subsistance, le nombre, le lieu, etc. L’amour, la haine, le désir, l’a­version ont une nature et une origine sembla­bles. Brucker, et avant lui Morhof, ont-ils eu tort de perdre patience devant toutes ces fictions ontologiques, et de les appeler des subtilités sans valeur et sans ordre ?

Bayer a laissé les ouvrages suivants : Ostium vel atrium naturœ iconographice delinealum, id est Fundamenta interpretationis et administrationis generalia, ex mundo, mente et scripturis jacta, in-8, Cassov., 1662 ; Filo labyrinthi, vel Cynosura seu luce mentium universali, cognoscendis, expendendis et com­municandis universis rebus accensa, in-8, Leip­zig, 1685.J. T.

BAYLE (Pierre) naquit, en 1647, à Carlat, dans le comté de Foix. Son père, ministre cal­viniste, se chargea de sa première éducation, et lui enseigna lui-même le latin et le grec. Plus tard, le jeune Bayle est envoyé à Puylaurens, où il continue ses études avec autant d’ardeur que de succès. Sa rhétorique achevée dans cette aca­démie, il va, en 1669, àToulousejchez lesjésuites,