à proprement parler, elle est un sens (c’est précisément la raison qu’alléguait Hutcheson pour donner le nom de sens à la faculté morale et à la faculté qui nous fait saisir le beau). En tant qu’elle agit de la même manière dans tous les hommes, il croit qu’elle peut s’appeler sens commun. Quant à la raison, il la définit (Essai sur la nature el l’immutabilité de la vérité) : « la faculté qui nous rend capables de chercher, d’après des rapports ou des idées que nous connaissons, une idée ou un rapport que nous ne connaissons pas, faculté sans laquelle nous ne pouvons faire un pas dans la découverte de la vérité au delà des premiers principes ou des axiomes intuitifs. »
2° Polémique contre le scepticisme spiritualiste de Berkeley, contre le scepticisme universel de Hume, enfin contre Descartes, que Beattie, de même que Reid, accuse d’avoir produit le scepticisme moderne en cherchant à tout démontrer. Beattie traite impitoyablement les sceptiques. Le titre même de son uipilleur ouvrage (Essai sur la nature et l’immuTabilité de la vérité, en opposition aux sophistes et aux sceptiques) indique assez la place que cette polémique occupe dans ses écrits. 11 analyse la philosophie sceptique ; il la considère surtout dans les temps modernes, et la suit depuis sa première apparition dans les œuvres de Descartes, jusqu’à son développement le plus complet dans les écrits de Hume. Il montre qu’elle admet des principes entièrement opposés à ceux qui ont airigé les recherches des mathématiciens et des physiciens, qu’elle substitue l’évidence du raisonnement à celle du sens commun, et qu’elle aboutit à des conclusions qui contredisent les principes les plus légitimes et les plus universels de la croyance humaine.
Tels sont les points les plus saillants de la philosophie de Beattie. On voit assez combien il se rapproche de Reid, dont il avait été l’ami et le collègue à Aberdeen, et dont il reproduit presque constamment les doctrines. En dehors des questions que nous venons d’indiquer, et toutes les fois que Beattie n’a pas à revendiquer contre le scepticisme les principes du sens commun, ses opinions ont peu d’intérêt. Nous avons remarqué toutefois, dans sa morale ; une coïncidence assez frappante entre l’idée générale qu’il se fait du bien et du devoir, et l’idée que s’en faisaient les stoïciens. On sait que les stoïciens fondaient la morale sur ces deux principes : a vivre conformément à la nature ; vivre conformément à la raison, » et qu’ils ramenaient ces deux principes à un seul, en ce sens que, la nature de l’homme étant éminemment rationnelle, obéir à la nature et obéir à la raison leur paraissaient une seule et même chose. C’est par un raisonnement analogue que. Beattie arrive à identifier l’idée de l’accomplissement de la fin de notre nature et l’idée de l’accomplissement des lois de la conscience morale. Voici sa conclusion : «… De ce que la conscience, ainsi qu’il vient d’être prouvé, est le principe par excellence, le mobile régulateur de la nature humaine, il suit que l’action vertueuse est la fin suprême pour laquelle l’homme a été créé. Car la vertu, c’est ce que la conscience approuve… C’est donc agir d’après la fin et la loi de, la nature, que d’agir d’après la conscience. » (Eléments de science morale, lre partie, ch. i).
Au fond, la philosophie de Beattie manque de profondeur et d’originalité. On peut citer des opinions célèbres et durables que l’histoire a enregistrées sous les noms de Hutcheson, de Smith, de Reid ? de Ferguson ; on en citerait difficilement une qui appartienne en propre à Beattie. C’est par la clarté et l’élégance de son style, par l’autorité attachée à sa réputation littéraire, que Beattie a servi la philosophie écossaise, beaucoup plus que par la nouveauté ou la fécondité de ses idées.
Les ouvrages de philosophie de Beattie sont intitulés : Essai sur la nature et l’immutabilité de la vérité, en opposition aux sophistes et aux sceptiques, in-8, Edimbourg, 1770. Cet ouvrage a été réfuté en même temps que la Recherche sur l’esprit humain, de Reid, et l’Appel au sens commun, d’Oswald, par le docteur Priestley : Essai sur la Poésie et la Musique, sur le. Rire, sur l’utilité des Etudes classiques, in-4, Edimbourg,
- L'Essai sur la Poésie et la Musique a été traduit en français, in-8, Paris, 1798. Dissertations morales et critiques sur la Mémoire el l’imagination, sur les Rêves, sur la Théorie du Langage, sur la Fable et le Roman, sur les Affections de famille, sur les Exemples du sublime, in-4, Londres, 1783 ; Éléments de science morale, publiés à Edimbourg, le premier volume en 1790, le deuxième en 1793, et traduits en français par Mallet, 2 vol. in-8, Paris, 1840. Il faut ajouter à cette liste plusieurs lettres relatives à la philosophie qui se trouvent dans le livre du W. Forbes sur la vie et les ouvrages de Beattie. Enfin on a de ce philosophe un traité sur {’Evidence du Christianisme, publié en 1786, et réimprimé en 1 vol. in-8, Londres, 1814. On peut consulter un mémoire ae M. Mallet sur la vie et les écrits de James Beattie dans le tome LXVI du compte rendu de l’Académie des sciences morales et politiques, année 1863.A. D.
BEAU. Dans cet article nous nous attacherons d’abord à distinguer l’idée du beau des autres notions de l’esprit humain avec lesquelles on serait tenté de la confondre. Nous essayerons ensuite de la caractériser en elle-même et de la définir. Nous terminerons en indiquant ses formes principales.
- L’idée du beau diffère essentiellement de celle de l'utile ; pour s’en convaincre, il suffit de remarquer qu’il y a des objets utiles qui ne sont pas beaux et des objets beaux qui ne sont pas utiles. S’il y a des objets à la fois utiles et beaux, nous ne confondons pas en eux ces deux points de vue. Le laboureur qui contemple une riche moisson et le voyageur qui admire un paysage ne voient pas la nature du même œil. Il y a plus, pour jouir du beau, il faut faire abstraction de l’utile ; ces deux sentiments se contrarient loin de se fortifier. Le plaisir du beau est d’autant plus vif et plus pur qu’il est plus dégagé de toute considération d’utilité et d’intérêt. L’idee de l’utile est purement relative, elle exprime le rapport entre un moyen et un but ; l’objet utile n’est rien par lui-même ; le but atteint, le besoin satisfait, le moyen perd sa valeur. Au contraire, l’objet beau est beau par lui-même, indépendamment de l’avantage qu’il procure, du plaisir que sa vue excite et de son rapport avec nous. Une belle fleur n’est pas moins belle dans un désert que dans nos jardins. Si on prétend que l’objet beau est utile puisqu’il nous fait éprouver du plaisir, c’est faire une pétition de principe. Pourquoi le beau nous plaît-il ? est-ce parce qu’il est utile ou parce qu’il est beau ?
L’utilité, si toutefois on peut se servir ici de ce mot, vient alors de la beauté, et non la beauté de l’utilité. En d’autres termes, le beau n’est pas beau parce qu’il nous est agréable, mais il est agréable parce qu’il est beau. Ceux qui ont confondu l’agréable et le beau, ont donc pris l’effet pour la cause. D’ailleurs la jouissance que nous fait éprouver la vue du beau est d’une nature toute particulière et n’a rien de commun avec celle