Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/211

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vivante par ses altérations successives. 11 a ingénieusement démontré la spiritualité de l’âme et son indépendance du corps, par le fait du suicide, acte que la nature animée ne présente que dans l’homme, et qui suppose à un haut degré dans l’âme, la faculté de s’abstraire du corps, et de le condamner à périr comme un être qui lui est étranger. Il nous suffira de mention­ner l’essai où l’auteur, reproduisant ce qu’il a dit du don gratuit du langage, a tenté de dé­montrer que l’écriture a été également révélée à l’homme par un moyen surnaturel. Les argu­ments, à l’aide desquels il a soutenu cette thèse, pourraient s’appliquer à une foule d’autres su­jets, avec une égalé apparence de justesse, et l’on pourrait réduire, de cette manière, à une suite de révélations miraculeuses le plus grand nombre des inventions qui constatent et honorent la spon­tanéité créatrice de l’intelligence humaine.

Diverses éditions des ouvrages de M. de Bonald ont paru de 1816 à 1829 et années suivantes, chez Adrien Leclère. On a réimprimé sa Théorie du pouvoir social, 3 vol. in-8, Paris, 1843 : la pre­mière édition ae cet ouvrage, publiée en 1796, avait été détruite par ordre du Directoire. Voy. Examen critique des opinions de M. de Bonald, composé en 1818, publié pour la première fois dans le troisième volume des Œuvres inédites de Maine de Biran. Paris, 1859, in-8. H. B.

BONAVENTURE (Saint). Jean de Fidanza, plus connu sous le nom de saint Bonaventure, naquit en 1221, à Bagnarea, en Toscane. Les

  1. prières de saint François d’Assise l’ayant, à ; l’âge de quatre ans, guéri d’une maladie grave,
  1. et le saint s’étant écrié à cette vue : 0 buona ventura, ce surnom resta à l’enfant miraculeu| sement sauvé. 11 entra en 1243 chez les Frères mineurs, et fut envoyé à Paris pour étudier sous Alexandre de Haies. Il professa successivement ! la philosophie et la théologie, et fut reçu docteur en 1255. Devenu, l’année suivante, général de son ordre, il y rétablit la discipline. Élevé, en 1273, par Grégoire X, au siège épiscopal d’Albano et à la dignité de cardinal, il mourut en 1274, le 15 juillet, pendant le second concile de Lyon, auquel il avait été appelé par le pontife. Il fut canonisé en 1482 sous le pontificat de Sixte IV, et reçut de Sixte V le surnom de Doctor seraphicus. Ce surnom semble nous annoncer à l’avance que nous devons le ranger parmi les théologiens mystiques.

Indépendamment de son caractère général, le mysticisme de saint Bonaventure se rattache, sous certains rapports, à saint Augustin, mais plus particulièrement au prétendu Denys l’Aréopagite, qu’il suit de près, dans un traité de Ecclesiastica hierarchia, dont il lui a emprunté le titre. Nous en dirions autant de sa Théologie mystique, dans l’introduction de laquelle il rap­pelle celle de l’Aréopagite, si quelques critiques n’avaient pas douté que ce traité dut lui être at­tribué. On peut encore s’assurer de cette filiation en constatant les rapports qui existent entre le traité des Noms divins de l’auteur dont nous parlons, et les idées développées dans la distinc­tion xxixe du livre I du Commentaire de saint Bo­naventure sur les Sentences de Pierre Lombard, où est traitée la question suivante : de Nominum differentia quibus utimur loquentes de Deo.

Le fait qui sert de point de départ au mysti­cisme de saint Bonaventure est le péché originel. L’homme avait été créé pour contempler la vérité directement, sans trouble et sans travail ; mais la faute d’Adam a rendu pour lui cette contem­plation immédiatement impossible, et entraîné j sa postérité dans les mêmes ténèbres (Itiner. nantis in Deum, c. i). L’ignorance actuelle de l’homme n’est pas le résultat de sa nature vé­ritable, mais celui d’une révolution qui s’est accomplie dans son être ; elle n’est pas la con­dition nécessaire de l’état de ses facultés intel­lectuelles, telles que Dieu les lui a données, mais l’état de ses facultés est l’effet de la faute dont se sont rendus coupables les premiers pa­rents du genre humain. Ce n’est donc pas à une culture intellectuelle, toujours laborieuse et in­complète, qu’il faut demander la connaissance du vrai en toute chose, mais au rétablissement de la pureté la plus parfaite dans le cœur, au retour de l’homme aux véritables conditions qui l’unissaient à Dieu dont il est maintenant sé­paré. C’est là une œuvre toute pratique, et qui ne peut s’accomplir que par une vie pure, par la prière, par l’ardeur soutenue de l’amour, et par de saints désirs (loco cit.).

Les phases successives de ce retour de l’âme à Dieu sont présentées par saint Bonaventure comme les trois degrés d’une échelle, image fa­milière aux saintes Écritures. « Dans notre con­dition actuelle, l’universalité des choses est l’é­chelle par laquelle nous nous élevons jusqu’à Dieu. Dans les objets, les uns sont les vestiges de Dieu, les autres en sont les images ; les uns sont temporels, les autres éternels ; ceux-là cor­porels, ceux-ci spirituels ; et, par conséquent, les uns hors de nous, les autres en nous. Pour par­venir au principe premier, esprit suprême et éternel, placé au-dessus de nous, il faut que nous prenions pour guides les vestiges de Dieu, ves­tiges temporels, corporels et hors de nous ; cet acte s’appelle être introduit dans la voie de Dieu. Il faut ensuite que nous entrions dans notre âme, image de Dieu, éternelle, spirituelle et en nous : c’est là entrer dans la vérité de Dieu ; mais il faut encore qu’au delà de ce degre, nous atteignions l’Éternel, le spirituel suprême, au-dessus de nous, contemplant le principe premier ; c’est là se réjouir dans la connaissance de Dieu, et l’adoration de sa ma­jesté. »

A ces trois degrés répondent, selon saint Bo­naventure, trois faces de notre nature : la sensi­bilité, par laquelle nous percevons les objets matériels extérieurs, que le docteur séraphique, par une heureuse image, appelle les vestiges de Dieu ; l’intelligence, qui, à la vue de ces objets, en atteint l’origine ? en conçoit ! e développement successif, en prévoit et en marque le terme ; la raison enfin, qui, s’élevant plus haut encore, arrive à considérer Dieu dans sa puissance, dans sa sagesse, dans sa bonté, le concevant comme existant, comme vivant, comme intelligent, pu­rement spirituel, incorruptible, intransmutable.

Ces passages, fidèlement résumés ou traduits, suffisent pour démontrer la prédominance du mysticisme dans les travaux philosophiques et théologiques de saint Bonaventure, et le caractère biblique dont se revêt son langage. Ce mysti­cisme, en effet, ne consiste pas, comme le mys­ticisme philosophique, à faire à la spontanéité de l’intelligence une part plus large qu’à ses autres facultés ; il rappelle l’homme à la science par la foi et la vertu, qui seules peuvent le ra­mener à son premier état.

Cependant, en constatant l’importance du rôle que joue le mysticisme dans les écrits^ de saint Bonaventure, nous devons reconnaître qu’il n’est pas exclusif. La distinction observée dans les divers degrés d’ascension de l’homme à Dieu, établit différents points dont les dévelop­pements constitueraient une théorie de la per­ception sensible, une théorie des opérations inductives et déductives de la raison, et même une sorte de philosophie transcendantale (Opor''tel diam,