Page:Franck - Dictionnaire des sciences philosophiques, 1875.djvu/242

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sur les fossiles. Il a découvert la loi générale de la distribution des animaux sur le globe, qu’une science plus avancée n’a fait que confirmer et étendre. Personne n’a mieux affirmé l’unité de l’espèce humaine sous la diversité des races : « L’homme, blanc en Europe, noir en Afrique, jaune en Asie et rouge en Amérique, n’est que le même homme teint de la couleur du climat. » A cette belle raison qui se corrige elle-même, à ces idées générales qui embrassent facilement l’ensemble des faits et des êtres, à ces grandes vues qui devancent l’avenir, on ne saurait mé­connaître Un esprit vraiment philosophique. Rien n’est plus propre à donner une idée des change­ments et des progrès apportés par le travail et les années dans les doctrines de Buffon que la comparaison de la Théorie de la terre et des Époques de la nature, le premier et le dernier de ses ouvrages. Dans le premier, distinguant les causes actuelles, présentement visibles, par les­quelles on donne de ce qui est une explication positive, des causes lointaines et possibles, par lesquelles on ne fait qu’imaginer ce qui peut être, il construit une histoire et une théorie de la terre. Partout jusque sur les montagnes on trouve des amas de coquilles, donc la mer a couvert la terre. Les couches de la terre sont horizontales, donc elles n’ont pu être déposées que par les eaux. Enfin les angles des montagnes, toujours correspondants, n’ont pu être ainsi formés que par les courants. La terre est l’ouvrage des eaux. Puis, dans son article sur la Formation des planètes, il met en œuvre ces causes éloignées, possibles et non plus actuelles et lentes, avec lesquelles on bâtit des romans et des systèmes, et il bâtit le sien à son tour. Du reste il ne prétend pas l’imposer à la raison ; né de l’imagination, c’est a l’imagination seule que le système s’adresse. Buffon imagine donc qu’une comète a frappé obliquement le soleil et en a détaché des parties qui sont devenues les planètes, par conséquent brûlantes et lumineuses à l’origine. En se re­froidissant, cette matière du soleil est devenue opaque ; les vapeurs se sont condensées en mers et l’air s’est dégagé des eaux. Cette terre du passé est donc l'ouvrage du feu. Ce sont deux époques différentes de la terre, l’une histori­que, l’autre romanesque. C’est aussi la première ébauché des Epoques de la nature. Dans ce second ouvrage séparé du premier par trente années d’étude, et le plus grand qui soit sorti de sa plume, Buffon complète, modifie son système, et distingue sept grandes époques de la nature. Remarquant que « la terre est enflée à l’équateur et abaissée sous les pôles dans les proportions qu’exigent la pesanteur et la force centrifuge, » il en conclut qu’elle a d’abord été fluide ; de ce que le globe terrestre a une chaleur intérieure qui lui est propre, il conclut qu’il a été incan­descent, et distingue une première et une seconde époque, « lorsque la terre et les planètes ont pris leur forme, » et « lorsque la matière s’étant consolidée a formé la roche intérieure du globe. » La présence des coquilles dans les plaines et sur les montagnes lui permet d’établir une troisième et une quatrième époque, « lorsque les eaux ont couvert nos continents, » et « lorsque les eaux se sont retirées et que les volcans ont commencé d’agir. » De la présence des débris d’éléphants dans les régions septentrionales du vieux et du nouveau monde, il induit une cinquième et une sixième époque, « lorsque les éléphants et les autres animaux du Midi ont habité les terres du Nord, « et « lorsque s’est faite la séparation des continents. >> Enfin l’absence de débris humains dans ces monuments du passé lui permet de distinguer une septième et dernière époque,

« lorsque la puissance de l’homme a secondé celle de la nature. » Plusieurs de ces inductions hardies sont erronées ; il était réservé à Cuvier et à quelques autres savants plus modernes qui ont mieux connu les faits de corriger ces erreurs ; mais, comme le dit M. Flourens, » Buffon a vu que l’histoire du globe a ses âges, ses changements, ses révolutions^ ses époques, comme l’histoire de l’homme. Il a été le premier historien de la terre. Cet art de faire renaître les choses perdues de leurs débris, et le passé du présent, ce grand art, le plus puissant de l’esprit moderne, c’est à Buffon qu’il remonte. »

Entre ces deux ouvrages se place l’histoire na­turelle de l’homme, des quadrupèdes, des oiseaux et des minéraux. C’est dans l’histoire de l’homme surtout que se rencontrent certaines théories particulières sur des questions essentiellement philosophiques. Ce ne sont plus ici de ces vues générales pour lesquelles Buffon a eu des suc­cesseurs et des égaux, mais point de supérieurs ni presque de devanciers. Quand il parle de l’homme, Buffon a derrière lui le xvne siècle et les noms imposants de Descartes et de Locke ; or il est aise de reconnaître que ses idées sur l’homme procèdent à la fois de celles de ces deux grands philosophes, et qu’il est incontes­tablement inférieur à l’un et à l’autre. Ses hypothèses, bâties sur des faits trop peu nombreux observés par quelques-uns de ses contemporains et dont il se hâte de tirer des inductions géné­rales et arbitraires, manquent, non-seulement de vérité, mais de nouveauté, de clarté et de pré­cision. Tremblay et Ch. Bonnet ont remarqué, en hachant par morceaux des polypes d’eau douce, que chaque morceau devient un polype complet ; en coupant les pattes et la queue d’une sala­mandre, que pattes et queue repoussent, peutêtre indéfiniment ; qu’en séparant un ver de terre en deux parties, ces tronçons se complètent, la tête poussant une queue nouvelle et la queue une nouvelle tête. Buffon en conclut avec Bonnet qu’un individu vivant est composé d’une infinité d’êtres organiques, dont chacun peut devenir semblable au tout. Ce sont des germes accumulés qui peuvent former autant d’individus complets. Ch. Bonnet expliquait la génération par une hypothèse empruntée à Leibniz, celle de Y em­boîtement des germes. Il supposait que les germes de tous les êtres préexistent dans la matière et sont enfermés les uns dans les autres, c’est-à-dire les enfants dans les parents, que les générations présentes étaient dans les générations passées indéfiniment et en sont sorties par un simple développement, que les générations futures sont de même contenues dans les présentes et se dé­velopperont de même. Buffon accepte les germes accumulés, mais il repousse Yemboîtcment de Bonnet et de Leibniz. 11 suppose, pour expliquer la nutrition et la génération, que la matière est pleine de molécules organiques de diverses espèces, en nombre infini, indestructibles, tout à fait semblables aux homéoméries d’Anaxagore. Ces molécules organiques servent à la nourriture de l’animal que Buflon représente comme une sorte de moule intérieur élastique, qui s’accroît sans changer de formes ni de proportions, par l’admission de molécules respectivement sem­blables à chacune de ses parties, à peu près comme croît et se renouvelle la machine cor­porelle dans la physique de Descartes. Quand le corps a atteint sa croissance, le surplus des mo­lécules convenables, au lieu d’être rejeté comme les autres molécules organiques qui ne convien­nent pas à l’homme, s’accumule dans de certains organes et y forme, sous la condition indispen­sable du mélange des liqueurs des deux sexes, des