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du moi envisagé en tant que substance, siège de tout un ensemble de phénomènes, et sujet d’un certain nombre de facultés ; mais je puis aussi, d’autre part, éliminant par la pensée tous les attributs et tous les phénomènes du moi, sauf un seul, concentrer mon attention sur celui-ci, ainsi isole de l’ensemble auquel il appartient, et obtenir parce procédé des idées abstraites, telles que celles de volition, de passion, de désir, de jugement, de conception, de souvenir. C’est conformément à cette définition que les mathématiciens appellent concret tout nombre que l’on fait suivre de la désignation de l’espèce d’unités que l’on considère : une maison, vingt chevaux, etc., et abstrait tout nombre qui n’est suivi d’aucune détermination spéciale des objets énumérés : un, vingt.
C’est à tort que l’on se sert quelquefois de ce terme d’idées abstraites pour signifier les idées générales. Toute idée générale, assurément, est abstraite ; car la conception du général ne peut avoir lieu qu’à la condition d’éliminer tout ce qui est spécial, individuel, accidentel, variable, c’est-à-dire à la condition d’abstraire. Mais la réciproque n’est pas vraie, et l’on ne saurait dire que toute idée abstraite soit en même temps idée générale. Quand je juge que la couleur est une qualité des corps, l’idée de couleur, en cette occasion, est une idée dans laquelle le caractère de généralisation s’allie au caractère d’abstraction. Cette notion est générale, car elle porte sur un objet qui n’est ni la couleur blanche, ni la couleur rouge, ni aucune autre couleur spécialement et qui, par conséquent, n’a rien de détermine. Elle est abstraite, parce que l’objet auquel elle a trait, la couleur, n’est point une chose qui existe réellement par elle-même et indépendamment d’un sujet d’inhérence. Il y a dans notre esprit un grand nombre d’idées, qui, à l’exemple de celle-ci, sont tout à la fois abstraites et générales ; mais il en est aussi qui ne sont qu’abstraites, et dans lesquelles ne se trouve pas le caractère de généralisation ; telle est, par exemple, l’idée de la couleur de tel ou tel corps. Une telle notion est abstraite : on en voit la raison ; mais est-elle en même temps générale ? Assurément non ; car son objet n’est pas la couleur envisagée d’une manière absolue, mais bien la couleur de tel corps individuel et déterminé.
La faculté d’abstraire n’est pas moins naturelle à l’esprit que toutes ses autres puissances. Cependant, il faut reconnaître que son développement est ultérieur à celui de plusieurs d’entre elles. Il précède celui de la généralisation et celui du raisonnement ; mais il dépend de celui de la perception extérieure et du souvenir. L’expérience ne laisse aucun doute à cet égard. On ne parvient à constater chez l’enfant l’existence de quelques idées abstraites, qu’à partir de l’époque où il fait usage de la parole. Il existe, en effet, entre l’exercice de l’abstraction et le langage une étroite relation. Ce n’est pas à dire, ainsi qu’on l’a quelquefois avancé, que le langage soit la condition de l’abstraction. La proposition inverse, savoir que l’abstraction est la condition du langage, pourrait être soutenue avec au moins autant de raison. Tout porte à croire que l’idée abstraite peut, sans le secours du langage, naître et se former dans l’esprit. Que, antérieurement à l’usage de la parole, l’idée abstraite soit extrêmement vague et confuse, c’est ce qu’il faut admettre, et telle elle paraît exister chez l’enfant qui ne peut encore se servir du langage, et chez l’animal auquel le don du langage n’a pas été départi. Le langage ne crée point l’idée abstraite, mais il aide puissamment à son développement, à sa précision, à sa lucidité ; il la rend tout à la fois plus claire à l’intelligence et plus fixe au souvenir ; il lui donne un degré d’achèvement qu’elle n’eût jamais acquis sans cette efficace assistance ; et telle est la puissance de ce service, qu’on est allé quelquefois, par une appréciation exagérée, jusqu’à l’ériger en une véritable création.
Une méthode plus artificielle que vraie, appliquée à la recherche et à la description des phénomènes de l’esprit humain, a conduit quelques métaphysiciens à fractionner, pour ainsi dire, l’action de la faculté d’abstraire, et à signaler, comme autant de fonctions distinctes, l’abstraction de l’esprit, l’abstraction du langage, l’abstraction des sens. Une telle division n’a rien que de très-arbitraire. Qu’est-ce qu’un terme abstrait, sinon le signe d’une pensée abstraite, et, par conséquent, le produit d’une abstraction de l’esprit ? D’autre part, les sens ne sont-ils pas de véritables fonctions intellectuelles ; et leurs opérations ne sont-elles pas en réalité des actes de l’esprit ? La division proposée n’a rien de légitime, attendu que le second et le troisième terme dont elle se compose rentrent nécessairement dans le premier.
Toute abstraction opérée par l’esprit présuppose quelque donnée concrète, obtenue par l’exercice préalable soit de la perception extérieure, soit du sens intime, soit de la raison. Décomposer cette donnée concrète, et conserver sous les regards de l’intelligence tel ou tel de ses éléments, en éliminant par la pensée toutes les autres, tel est le rôle psychologique de la faculté dite abstraction. Sa règle logique peut se renfermer en ce précepte : prémunir l’intelligence contre l’invasion de l’imagination dans le domaine de l’abstraction. Une telle alliance ; quelque favorable qu’elle puisse être à la poésie, ne saurait qu’être préjudiciable à la science. Elle a, en effet, pour résultat de convertir arbitrairement des phénomènes en êtres, et de prêter une existence réelle et substantielle à de pures modalités. L’ancienne physique et l’ancienne philosophie n’ont point été assez attentives à se garantir de semblables erreurs. La première en était venue à considérer comme des êtres le froid, le chaud, le sec, l’humide, et autres qualités de la matière. La seconde avait attribué une existence réelle et substantielle à de purs modes de la pensée. Ainsi, pour citer un exemple, la célèbre théorie de l’idée représentative, qui régna si longtemps en philosophie, n’avait pas d’autre fondement qu’une erreur de ce genre. L’idée, au lieu d’être prise pour ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire pour un état du moi, pour une modification de l’esprit, pour une manière d’être de l’âme, avait été convertie en une sorte d’être réel et substantiel, auquel les uns assignaient pour résidence l’esprit, les autres le cerveau. L’abstraction n’a véritablement de valeur scientifique qu’autant qu’elle sait maintenir à ses produits leurs caractères propres. Autrement, ainsi que l’histoire de la philosophie, soit naturelle, soit morale, en fait foi, au lieu d’aboutir à des notions légitimes, elle n’aboutit plus qu’à des fictions. On peut consulter : Th. Reid, Ve Essai sur les facultés intellectuelles de l’homme. — Dugald-Stewart, Éléments de la philos. de l’esprit humain, ch. iv. X.
ABSURDE ne doit se dire que de qui est logiquement contradictoire, par conséquent, de ce qui ne peut trouver aucune place dans l’intelligence (άτοπον, άλογον). En effet, une idée, un jugement ou un raisonnement qui se contredit est par cela même impossible et n’existe que dans les mots. Ainsi, un triangle de quatre côtés est évidemment une idée absurde. Mais on n’a pas le droit d’étendre la même qualification à ce qui est