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La philosophie de Reid ressort tout entière de la mémorable polémique qu’il engagea contre l’hypothèse des idées représentatives. Pour rendre compte du fait delà perception extérieure, quelques philosophes avaient cru devoir imaginer, entre nous et les choses, un être inter< médiaire, appelé idée ou image, et destiné à mettre l’esprit en rapport avec les objets environnants. Cette théorie, dernier et triste reste de l’ancienne explication donnée par les atomistes, régnait toujours dans l’école, et Reid l’avait d’abord adoptée, lorsque enfin il ouvrit les yeux sur les funestes conséquences qu’en avaient tirées Hume et Berkeley. Berkeley, partant de ce principe que la croyance à l’existence des objets du dehors n’a d’autre fondement que la présence des idées dans l’esprit, et ne trouvant rien dans la nature de l’idée qui justifiât cette croyance, avait nié le monde extérieur. Hume, à son tour, s’était emparé de l’argumentation de Berkeley pour ruiner l’existence des esprits et de Dieu. Si en effet toute connaissance implique la nécessité d’un intermédiaire entre le sujet connaissant et l’objet connu, le sujet ne peut jamais communiquer directement avec l’objet, quel qu’il soit ; et si l’on nie l’existence des corps, parce qu’on ne les atteint pas directement et dans leur substance, on doit nier au même titre les esprits et Dieu, qu’on n’atteint pas davantage en réalité. Tout s’évanouit donc au sein de ce scepticisme universel ; et il ne reste plus rien que des idées, c’est-à-dire des phénomènes inexplicables, de vains fantômes, un pur néant. D’aussi monstrueuses conséquences révoltent évidemment le sens commun ; et Reid, au nom du sens commun, protesta contre la théorie qui les avait engendrées. En dépit de tous les raisonnements des philosophes, l’humanité croit à l’existence du monde extérieur ; les philosophes y croient comme le vulgaire, et il n’est pas à cet égard de sceptique si déterminé dont les actes ne démentent à chaque instant la doctrine. D’où provient un tel désaccord ? Au moins faudrait-il, pour sacrifier aux conclusions de la science l’irrésistible foi du genre humain, que la démonstration sur laquelle on s’appuie fût absolument rigoureuse et vraie. Mais non, et Reid en dévoila les vices avec une sagacité supérieure. Quel est le point de départ, le principe de la démonstration de Berkeley, et, par suite, de Hume ? Une pure hypothèse : la prétendue nécessité de l’idée comme intermédiaire entre le sujet et l’objet de la connaissance. Or, cette hypothèse, de quelque façon qu’on l’envisage, n’explique pas ce qu’elle est destinée à expliquer. Du moment, en effet, que l’idée est érigée en être distinct il faut qu’elle soit ou une substance matérielle ou une substance immatérielle, ou qu’elle participe à la fois des deux natures. Matérielle : elle suppose la possibilité d’une communication entre elle et l’esprit, et alors on ne voit pas pourquoi l’esprit n’entrerait pas aussi bien en communication directe avec les corps. Immatérielle : elle ne saurait avoir, pour communiquer avec les corps, plus de vertu que l’esprit lui-même. Veut-on enfin qu’elle soit matérielle et immatérielle, correspondant par son être matériel avec les corps, par son être spirituel avec l’âme, on résout la question p ; ir la question, et le problème demeure tout entier, .sèment desavoir comment

deux termes de n iture contraire, le corps et l’esprit, 1 l’un avec l’autre en relation. La réfutation était victorieuse, et Reid, après une analyse approfondie du f.iit de la perception icuro et des circonstances qui l’accompagnent, établit que la croyance à 1 extériorité est un acte de foi qui a en lui-même sa raison d’être et sa légitimité. Nous croyons, dit-il, à l’existence des objets du dehors aussi invinciblement que nous croyons à notre propre existence, sans avoir besoin d’invoquer aucune preuve pour justifier le témoignage des facultés qui la révèlent. D’un mot, on ne peut ni tout démontrer, ni tout expliquer. Et comme dans l’ordre des vérités démonstratives la science remonte et s’arrête à des principes premiers indémontrables, dans l’ordre des vérités empiriques il faut admettre également des faits simples et primitifs, qui, tout en servant à expliquer les autres, ne sont pas eux-mêmes susceptibles d’explication. Cette critique de la théorie des idées représentatives conduisit Reid à des conclusions plus explicites sur les causes générales d’erreurs qui avaient arrêté les progrès des sciences philosophiques, et sur les moyens d’y remédier. Or, suivant Reid et toute l’école écossaise, les sciences philosophiques sont des sciences de faits, exactement au même titre que les sciences physiques, et naturelles. Celles-ci ont pour objet la connaissance et l’explication des phénomènes extérieurs ; celles-là ont pour objet la connaissance et l’explication des phénomènes internes ou de conscience. La méthode qui s’applique aux unes est donc applicable aux autres, puisqu’il s’agit, dans les deux cas, d’étudier des faits observables, de les classer et de les ramener à des lois. C’est grâce à cette méthode, que les sciences physiques ont été constituées depuis Bacon, et qu’elles sont arrivées aux plus merveilleux résultats. C’est aussi par cette méthode que les sciences philosophiques pourront être enfin constituées, et arriver à des solutions précises et rigoureuses. Si depuis tant de siècles et malgré les efforts des plus beaux génies, elles sont restées stationnai res, en proie à l’incertitude et au doute, c’est qu’on y a toujours procédé par voie de conjecture et d’hypothèse. De là tant de systèmes opposés, incomplets, et qui ne représentent chacun qu’une faible partie de la réalité totale. Les sciences naturelles ont pendant longtemps partagé le même sort ; elles ont traversé les mêmes vicissitudes, et n’en sont sorties que du jour où les savants, au lieu de conjecturer et de deviner, ont adopté et appliqué scrupuleusement la méthode d’observation. Il n’y a pas, non plus, d’autre marche à suivre dans l’étude de la philosophie : proscrire impitoyablement l’hypothèse et observer ; ne rien supposer au delà des données de l’observation seule. Mais il est, selon l’école écossaise, une autre cause d’erreur plus puissante encore, et qui tient à ce que les philosophes n’ont pas su reconnaître les bornes assignées à l’entendement humain dans la recherche de la vérité. Ils ont voulu pénétrer la dernière raison de ce qui est, sous le mode atteindre la substance, sous l’effet la cause, expliquer l’inexplicable. Rien de plus vain, d’après Reid et ses disciples, qu’une pareille prétention Car, en dernière analyse, que savons-nous de la réalité, soit interne, soit externe ? Notre savoir, disent-ils, se réduit à la connaissance des phénomènes et, par suite, des propriétés ou attributs ; le reste nous échappe. Tout ce que nous pouvons dire des causes et des substances, c’est qu’elles existent, parce que la pensée remonte de l’effet à la cause et de l’attribut à l’être. Mais causes et substances sont en elles-mêmes insaililes. Comment existent-elles ? Quelle est au fond leur nature ? Nul ne le sait, et c’est compromettre la science que de l’embarrasser de semblables questions. Tant que les sciences naturelles furent engagées dans cette voie et qu’elles s’occupèrent de déterminer en quoi con-